Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

I-6. Vocation pour le Canada

CHAPITRE VI.
Sa vocation pour le Canada & son voyage de Bayeux jusqu'au Port de Mer
pour s'y embarquer

Les grands desirs qu'elle avoit de souffrir & d'entreprendre pour l'amour de Dieu & le salut des ames, tout ce qui pourroit se prenseter à son courage & à son zele, luy firent prendre la resolution de tout quitter, parens & amis, & la France méme, pour s'en aller en Canada où elle n'avoit aucune connoissance, & où elle sçavoit qu'il y avaoit beaucop à souffrir & tout à craindre: mais elle ne craignoit rien, y étant uniquement portée par l'amour de Dieu qui l'y devoit accompagner, & auquel elle mettoit toute sa confiance.

Les Religieuses Hospitalieres de Quebec qui y avoient été envoyées de la Maison de Dieppe, dés l'an 1639, avoient demandé quelques Religieuses de France pour leur secours. La proposition en ayant été faite dans le Monsatere de Bayeux, entre celles qui s'y presenterent, les deux plus ferventes furent les deux Soeurs, & celles aussi qui paroissoient plus prpres pour ce dessein. Mais dautant que nôtre Cahterine n'étoit que Novice, & qu'elle n'avoit pas encore l'âge de faire profession on ne pouvoit pas l'engager; & ainsi on donna parole pour son aînée qui étoit Professe.

En ce temps se rencontra la profession de leur bonne grand'mère, nommée en Religion la Mere Renée de l'Incarnation; où s'étans rencontrez pluesieurs de la parenté, & de ses enfants; entr'autres le Pere Jourdan Jésuite, tant les uns que les autres se servirent de tous moyens pour détourner ces deux Soeurs des desirs & des desseins qu'elles avoient pour le Canada. L'aînée se laissa enfin gagner; mais la cadette se rendit invincilble à toutes leurs poursuites; & plus on luy apportoit de raisons, plus elle s'affermissoit dans ses saintes & genereuses resolutions: & sa Soeur luy cedant sa place, elle vit enfin que le sort tomboit heureusement sur elle.

Monsieur de Longpré son pere, duquel elle avoit été toûjours la plus cherie de tous les enfans, s'opposa de toutes ses forces à son dessein; & méme présenta Requêt en Justice pour l'empécher, se rendant inflexible à cette résolution. Mais nôtre genereuse Pretendante aux souffrances du Canada, crût que gagnant le Ciel, elle gangeroit sa cause; elle eut recours à Dieu, faisant voeu de vivre & de mourir en Canada, si Dieu luy en ouvroit la porte, & méme elle alloit signer de son sang le voeu qu'elle en avoit fait, si la Maîtresse des Novices ne fût survenuë, lorsqu'elle se picquoit pour offrir ainsi les premices de son sang à Dieu. Peu apres le coeur de Monsieur de Longpré son pere se trouva heureusement changé: Nôtre Seigneur premit que ce bon Gentilhomme étant tombé malade de chagrin & de mélancolie à cette occasion, demanda à voir une Relation nouvellement venuë du Canada, qui parloit de la mort du Pere Isaac Jogues Jesuiste, massacré par les Iroquois l'année d'auparavant 1647. lors qu'il étoit allé pour la troiséme fois dans leur païs, pour leur porter la Foy de JESUS-CHRIST. Ce pere abbatu de tristesse fut saisi tout d'un coup d'un assompissement & d'un sommeil, sans doute mysterieux; pendant lequel il fut inspiré & porté fortement de permettre à nôtre Cahterine de faire ce grand voyage; & Mademoiselle sa mere en méme temps eut aussi la méme pensée, quoy qu'elle fût éloignée pour lors de son mary. A son réveil son coeur se sentit tout changé sur ce genereux sacrifice que vouloit faire sa fille d'elle-méme; & il conçût une si vive apprehension que Dieu ne luy demandât compte à l'heure de la mort, de l'opposition si opiniâtre qu'il faisoit à ses volontez, & aux desseins que le Ciel avoit sur sa fille, que touché de cette pensée qui le pressoit fortement; il accordda à Dieu ce qu'il avoit refusé aux hommes.

Comme il falut tout declarer aux Religieuses, fain qu'elles y donnassent leur consentement, le Chapitre étant assemblé pour ce sujet, il s'y rencontra tant de nouvelles difficultez, que l'affaire pensa étre rompuë; Apparemment le Demon faisoit ses derniers efforts pour empécher le voyage de cette fille, qui devoit luy étre si contraire dans le Canada. Les difficultez qu'on y trouvoit, étoien, que la fille n'ayans pas encore fait ses Voeux , si elle venoit à se degoûter sur les chemins, on risquoit sa vocation; qu'ayant de si beaux talens comme elle avoit, elle rendroit un jour de grands services au Monastere de Bayeux, si elle y demeuroit, & que c'étoit entre les autres qui se presentoient, qu'on y devoit le moins envoyer.

Sur ces entrefaits Mademoiselle du Longpré arriva au Monastere, laquelle apportoit le consentement du pere & luy venoit dire adieu: de sorte que son arrivé termina les difficultez qui s'opposoient à son voyage.

La resolution ayant été prise de donner ce precieux thresor au Canada, les Religieuses n'y vouluent jamais consentir, qu'à condition qu'elle feroit ses voeux simples de Religion avant son départ, sous l'autorité de l'Eveque de Bayeux; qu'elle reconnaîtroit toûjours la Superieure du Monastere de Bayeux pour sa vraye & legitime Superieure; qu'en quelque lieu ou Monastere où elle feroit profession, elle ne le feroit qu'à ces conditions; & qu'elle seroit toûjours tenuë & censée Prefesse de Bayeux, & non d'ailleurs; en sorte qu'elles le retenoient toûjours le droit de la rappeller, & d'en disposer ainsi que l'on fait des Religieuses que l'on envoye en fondation, ou pour assister quelqu'autre Monastere.

Le 25. d'Avril 1648. qui fut le Mercredy d'après Pâques, sur les trois ou quatre heures apres midy, elle fit ses voeux simples, n'ayant pas encore l'âge de 16. ans, qui est requis pour la profession Religieuse. Ce fut en presence de Monsieur de Bernays, homme de sainte vie, Theologal de Bayeux; de Messieurs les grands Vicaires, & de plusieurs Chanoines & amis de la Maison. Toutes les Religieuses y assisterent, & tout se fit en la méme forme que l'on tient en la profession solemnelle; on luy donna le voile noir; elle fit cette action avec grande joye & devotion; ensuite elle fut visitée par plusieurs personnes de qualité, qui étoient parfaitement édifiez de sa vertu, dont ils ont toûjours conservé une grande idée.

Comme on avoit veu tant de difficultez pour ce voyage, la Reine Regente avoit écrit aux grands Vicaires, l'Evéque pour lors étant mort, & à Monsieur du Tronchay pour lors Intendant, afin que tous ensemble donnassent l'ordre necessaire à ce que la Novice fût conduite. On avoit député pour cét effet Monsieur de la Bardouliere, un des grands Vicaires & Archidiacre, lequel n'approuvoit pas trop le dessein de ce voyage: mais ayant parlé à la Novice, & ayant entendu ses raisons & les motifs de sa vocation, & voyant sa grande resolution en l'âge où elle étoit, il en demeura tout surpris, & il ne pût qu'il ne loüât & n'approuvât son genereux dessein; & il conçût tant d'estime de cette Novice, qu'il la regardoit comme une Sainte. Pour marque de son estime, il voulut avoir quelques grains de son Chapelet, qu'il portoit par devotion. Tous les ans il luy écrivoit, & il luy envoyoit quelques petits presens pour donner aux pauvres Sauvages.

Feu Monsieur Seruin Evéque de Bayeux, l'avoit en telle estime, qu'il baisoit ses lettres, & s'en fit lire une dans sa grande maladie mortelle, & témoignoit une grande joye d'avoir une si sainte fille pour une de ses Religieuses. Il disoit que ses lettres luy causoient une tres-grande devotion; & pour en témoigner ses reconnaissances, il luy envoya cent francs en sa derniere maladie, pour étre distribuez aux pauvres Sauvages.

Le lendemain 17. du méme mois d'Avril, elle se ressouvint du commandement que Dieu fit autrefois à Abraham lors qu'il luy dît: Sors hors de ton païs, de ta parenté, & de la maison de ton pere, & va à une terre que je te montreray, & je te beniray. Ce ne fut pas sans sentiment que son coeur se separa de tout ce qu'elle avoit au monde de plus cher, elle étoit aímée de tous ceux qu'elle connoissoit & qu'elle alloit quitte; & elle sçavoit bien qu'elle alloit en un païs Barbare, & parmy des Sauvages infideles & cruels, où il n'y avoit rien d'aimable, sinon à un coeur qui ne veut aimer que Dieu seul. La tendresse de sa mere qui étoit venuë ly dire adieu, & pour qui cette chere fille avoit tout l'amour possible, ne servirent qu'à faire paroître la force de sa vocation pour le Canada, & ce que peut l'amour de Dieu sur un coeur qui déja est tout à luy. Mais la Communauté des Religieuses de Bayeux où elle avoit deux soeurs, ssa grand'mere, & une tante soeur de grand'mere, & une cousine germaine Fondatrice de cette Maison, & où toutes les autres Religieuses la portoient dans leur coeur, & pour lesquelles elle avoit des tendresses inimaginables; toutes cette chere Communauté luy causa au point de sa separation une douleur plus sensible qu'elle ne le pouvoit exprimer: le seul amour de Dieu qui faisoit cette playe & qui donnoit le coup de mort en pouvoi étre le remede.

Elle sortit donc de Bayeux regardant le Canada comme le lieu où JESUS-CHRIST l'appeloit, et où elle devoit étre la victime de son saint Amour.

La Mere de l'Assomption Professe de Dieppe, qui devoit faire le méme voyage avec elle, avoit les commissions necessaires afin qu'elle fist sa profession en chemin, lorsqu'elle auroit l'âge, qui manqyoit seulement de quelques jours.

Le Pere Barthelemy Vimon Jesuite les conduisoit avec une bonne compagnie.

Passant par la Ville de Vennes en Bretagne, une troisiéme Compagne se joignit aux deux premieres: la Mere Jeanne de sainte Agnes excellente Religieuse, & qui fut aussi un riche present pour le Canada.

Par les chemins tous ceux qui voyoient nôtre jeune Religieuse, étoient ravis de son courage, de sa modestie & des vertus qu'ils voyoient reluire en elle. Son humilité, sa patience & sa douceur l'accompagnoient par tout. On l'appeloit un Ange, & une Sainte.

On écrivoit de tous côtez à la Communauté de Bayeux les admirations qu'on avoit pour elle; & toûjours elles ont regretté à Bayeux cette sainte fille, n'y ayant eu que les seuls interêts de la gloire de Dieu qui les avoit fait consentir à son éloignement.

Ce fut à Nantes que nôtre genereuse Novice fit sa profession dans la Chapelle de nôtre-Dame de toute joye, le 4. jour de May, son âge de 16. ans n'ayant été accomply que le jour precedent, le 3. de May.

Le Pere Vimon Jesuiste qui la consuisoit en Canada, fut commis par Monsieur le grand Vicaire & Officiel de Nantes, pour recevoir ses voeux, qu'elle fit sous l'autôrité de Monsieur l'Evêque de Bayeux. Ledit grand Vicaire fut present avec trois Chanoines & tous signerent ses voeux.

Elle ne se rendit pas seulement fidelle envers Dieu pour luy tenir les promesses qu'elle lui avoit faites; mais aussi pour se tenir sujette & dépendante des Superieures de son Monastere de Bayeux; ne manquant pas de rendre toutes les années ses respects aux Evéques, aux Superieurs particuliers, aux Superieures, & autres Meres & Soeurs, leur écrivant si cordialement, si religieusement & si saintement, qu'elle ravissoit les coeurs, méme de ceux & de celles qui ne l'avoient pas connuë. Cette Maison de Bayeux l'ayant aussi reconnuë pour sa bien-aimée fille, & luy ayant toûjours fourny sa pension pendant sa vie (quoy qu'elle n'y fût pas obligée:) & apres sa mort luy ayant fait les mémes services & rendu les mémes charitez que si elle étoit decedée à Bayeux.

Les deux Religieuses qui avoient plus d'amour pour elle, la Reverende Mere Marie de saint Augustin, la Fondatrice de la Maison & sa cousine, & la Reverende Mere Renée de l'Incarnation sa gran'mere, pour lesquelles reciproquement elle avoit aussi de plus tendres, de plus fortes & de plus saintes effectiosn, furent les deux uniques, qui bien loin de la détourner de sa vocation pour le Canada; au contraire elles l'y animoient fortement, lorsque tout le monde s'opposoit à ce dessein. Ce qui est un témoignage bien puissant que de part et d'autre la grace unissoit plus leurs coeurs, & lioit plus leurs affections; que ne faisoient les liens les plus étroits de la nature. En effet, la grace ne cherche que Dieu, veut que Dieu soit obeï, & soit servy aux dépens de tous les autres amours.