Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

II-4. Visite d'une religieuse défunte et assurance de gloire

CHAPITRE IV
Vne Religieuse défunte qui luy apparoît, luy offre d'étre délivrée de ses
tentations, & on luy donne asseurance de sa future gloire.

La Mere Françoise de saint Ignace, fille de Monsieur Giffard, Hospitaliere dans la méme Communauté, étant morte le 15. Mars 1657. nôtre Catherine fut peu de jours apres son enterrement dans le caveau où l'on avoit mis le corps de cette défunte pour le visiter; à cause de la particuliere affection qu'elles s'étoient portées l'une à l'autre; d'où étant retournée, & priant devant le saint Sacrement dans le Choeur, elle sentit presente d'une façon spirituelle, celle qu'elle venoit de visiter; & qui luy parlant interieurement luy disoit : « Vous vous étre délivrée de vos tentations ? J'espere d'en venir à bout, si vous le desirez: Mais prenez garde que l'humilité n'en souffre: Je vous aimois beaucoup dans le monde; mais je vous aime encore beaucoup davantage dans le Ciel. » Elle luy fit réponse: Vous sçavez mieux que moy ce qui m'est meilleur; je demande seulement la fidelité, je demanderay là dessus l'avis de mon Confesseur.

Deux mois apres, la méme défunte luy apparut dans son sommeil, lors qu'elle faisoit les exercices: Voicy ce qu'elle en écrit elle-méme au mois de May 1657.Ayant eu l'esprit combattu extraordinairement de tentations, & le coeur serré d'une tristesse assez considérable; la nuit entre le 24. & le 25. environ sur les onze heures & demie, sommeillant il me sembla qu'on me venoit querir, pour aller parler au Reverand Pere Châtelain; je priay celle qui me venoit avertir, qu'elle prît la peine de passer à l'Eglise, parce que j'eusse bien soûhaité de parler au Pere, en ce lieu là. Incontinent je m'en allay au Choeur, où ayant ouvert la frille, j'apperçû le Pere qui ne faisoit qu'entrer; apres je vis tout proche de moy ma Soeur de saint Ignace, laquelle se tournant vers moy, me dît : « Allons, ma Soeur, hâtez-vous de faire ce que vous voulez, car je ne peux tarder longtemps. » Je ne me trouvay aucunement surprise de la voir, & de l'entendre parler, quoy qu'elle fût vétuë d'un grand voile qui la couvroit toute, excepté le visage qu'elle avoit fort beau; & que le ton de sa voix fût autre: Mais soûriant, je luy dis; « hé quoy ma chere Soeur, vous qui étiez si ennemie de la précipitation pendant vôtre vie, pressez-vous ainsi les gens apres vôtre mort? Donnez moy un peu de patience, l'action que je veux faire, merite bien un peu d'attention. » Alors le Pere qui étoit à genoux devant l'Autel, s'approcha de la grille, & je demeuray quelque espace de temps sans rien dire. Ce que voyant cette chere défunte, elle me dît d'un ton plus haut, « dépêchez vous, car je vous asseure que si vous ne dittes promptement, ce que vous avez à dire, je ne seray plus guere icy: » pour lors je commençay à demander pardon au Pere, & je le priay qu'il n'eût point égard à tout ce que je luy avois dit le Mercredy précédant (en effet, je luy avois dit bien des choses assez mal digerées) qu'en la presence de nôtre Seigneur, de la sainte Vierge, de mon bon Ange de luy & de ma Soeur Françoise de saint Ignace qui étoit là presente, je desavoüois tout; & je suppliois nôtre Seingeur, qu'il n'eût point égard à mon amour propre; qu'aux dépens de ma satisfaction, je le conjurois d'accomplir en moy & sur moy, ses tres-saintes & adorables volontez, en telle maniere qu'il luy plairoit; & poussée d'un desir extrême de satisfaire à son amour; je luy dis, oüi, mon Dieu, mon Sauveur et mon tout, faites de moyo tout c qu'il vous plaira. Coupez, tranchez, brûlez, non seulement en cette vie, mais méme à toute éternité, si c'est vôtre plus grande gloire: Oüi, Monseigneur, malgré tous les démons, je vous en beniray, & aimeray les rigueurs de vôtre divine Justice. Apres je renouvellay mes voeux & toutes les protestations que j'ay faites à Dieu, tant auparavant que je fusse Religieuse, que depuis que je le suis.
Comme j'eus achevé, le Pere me damanda pourquoy je nommois la Soeur Françoise de saint Ignace comme presente: « Voyez, luy dis-je, mon Pere, la voilà. Ne la voyez vous pas actuellement ? elle vous regarde avec attention :
Asseurément, me dît le Pere, vous pleurâtes tant hier, que vos yeux en sont encore moüillées:
Point du tout, mon Pere, luy repartis-je; je vous asseure que la voila. » Alors me quittant, il s'en alla prier Dieu, durant que je parlois à nôtre bonne Soeur; & en me tournant incontinent vers elle, avec un peu d'étonnement, je luy demanday pourquoy elle n'étoit pas veuÑe du Pere? Il me sembla qu'elle baissa les yeux & la tête, & me dit : « Ma Soeur, il n'est pas en mon pouvoir de le faire, je veux bien que vous en sçachiez la raison : Si j'étois capable maintenant de regret & d'affliction, j'en aurois pour ce que je vous vas dire. Souvenez vous que pendant ma maladie, j'ay souvent évité de le voir / de luy parler; & que j'y ay été portée par un malheureux respect humain : Vous ne l'ignorez pas, vous sçavez bien que quand vous m'invitiez d'avoir ce bien, je vous en témoignois du mécontentement; & vous vous souvenez bien de ce que je vous ay dit, tant du Pere N. que du Pere Châtelain; j'ay perdu beacucoup en cela; quoy que nôtre Seingeur m'ait fait grace de satisfaire à cette faute, par la priuation que j'ay eu en monrant, de tout secours spirituel del a part des creatures: J'eus pour lors une grande peine, me voyant seule; mais au méme moment j'offrois à nôtre Sengeur cét abandon, en satisfaction du refus que j'avois fait souvent de ce méme secours, en acceptant cette privation pour un juste payement de mes ingratitudes vers ces personnes là, auxquelles je devois mon salut & ma sainteté: » Je luy demanday si trois jours avant de mourir elle n'avoit pas di au Pere, tout ce qui luy avoit pû donner de la peine. Elle me dît quoüi; mais que Dieu étant juste aussi bien que misericordieux, il falut satisfaire à sa Justice; & que pour cette méme Justice elle avoit été privée du bonheur de Communier le jour de sa mort, pour avoir trop negligé de le faire durant sa maladie, par trop de crainte de renouveller ses douleurs, si elle se fût remuée, étant toute ulcerée depuis les pieds jusqu'à la tête; quelques fois aussi par pure negligence. Ensuite de cela je luy demandy si Madame de Lauson de Charny sa Soeur, qui étoit morte avant elle il y avoit plus de trois mois, l'étoit venuÑe inviter effectivement quand elle me l'avoit dit, trois ou quatre jours avant sa mort; ou bien si elle révoit. Sortoitelle de Purgatoire? « Je ne vous dis pas cela, répondit-elle, mais elle y a été: Je la vis effectivement, & elle m'invita: Nous joüisson toutes deux de la gloire; mais cependant avec une tres-grande difference. Ma Soeur de Charny a mené une vie bien innocente, il est vray; elle a beaucoup aimé Dieu & l'a bien servy : mais j'ay ce qu'elle n'a pas. Vous sçavez la peine qu j'ay soufferte pour m'étre faite Religieuse; ma Soeur n'a rien de tout cela; elle a fait sa volonté; j'ay consacré la mienne à Dieu; j'ay incomparablement plus souffert qu'elle, & de corps & d'esprit; Dieu dont les misericordes sont infinies, a recompensé tout cela avec des profusions qui ne se peuvent concevoir: Un jour, un jour, ma chere Sleur, vous l'éprouverez. Et si j'ay été taité si avantageusement; vous qui avez tant à souffrir, & tant d'ennemis à combattre, que sera-ce? Ô que Dieu est bon, & que le bonheur de s'étre consacré à liy, est inconcevable ! Il faut mourir,ma Soeur, pourle comprendre. » Je luy repartis ayant le coeur extrémement pressé. Ma chere Soeur, je croy ce que vous me dites, encore que je ne le conçoive pas come vous; mais que j'espere éprouver toutes ces faveurs, je vous asseure que n'oze m'en asseurer: Vous sçavez ce que j'ay demandé à nôtre Seigneur avec instance, de satisfaire & de porter les peines d'un si grand nombre de pecheurs: Si sa bonté m'accorde cette faveur, je ne seray pas en vôtre compagnie, & une éternité ne sera pas trop longue pour payer tant de crimes. Outre que j'ay tellement tout donné aux Ames du Purgatoire, qu'en cette vie ny en l'autre, je ne me suis rien reservé du tout: Oüi, ma soeur, je sçay tout cela; mais asseurez vous que Dieu a des bontez pour ceux qui le servent, tout autres que ce que nous en pensons : Vous le reconnoîtrez un jour; il n'est pas temps à présent; Allons. Voyant qu'elle étoit sur lepoinde s'en aller, je luy recommanday mon frere, pour lequel j'étois en peine, & je priay aussi avec une grande instance, qu'elle demandât pardon à la sainte Vierge pour moy, des infidelitez que je commettois à son service, & des obstacles que j'apportois à l'augmentation de son heritage; qu'elle luy protestât de ma part, que tout de nouveau je m'offrois à elle, & qu'elle fist de moy tout ce qu'il luy plairoit; qu'elle n'eût point égard aux revoltes de mon coeur, puisque je voulois malgré ce méchant coeur, étre toute à elle & à son Fils. Je vis qu'elle s'en alloit, & moy je me réveillay en méme temps. Il n'étoit que douze heures: depuis je ne pûs dormir le reste de la nuit. Il est vray que ce m'est une chose ordinaire de dormir tres-peu. Je ne m'étonne point non plus, qu'en dormant je songeasse à tout cela; parce que le jour precedent j'avois beaucoup songé à madite Soeur Françoise de saint Ignace; & l'avois priée qu'elle fist pour moy les mémes protestations que j'ay faites la nuit. Il est vray, & je ne puis nier que mon coeur n'ait été fortifié particulierement par ce songe; & que certaines choses n'ayent fait beaucoup d'impression sur mon esprit; la liaison & l'union que cette ame bienheureuse veut bien avoir avec moy, est assez particuliere; & jamais ne ne pense à elle, qu'avec une douceur extraordinaire. Tout ce que je luy recommande, me reussit avec profit. Voilà mon Reverand Pere, ce que vous m'avez commandé d'écrire, je l'ay fait, je vous aseure, par pure obeïssance; & je vous avouë que c'est avec peine que je vous donne cét Ecrit. Priez nôtre Seigneur qu'il anneantisse mon orgueil & mon amour propre; afin que mon coeur soit mieux disposé à recevoir els impressions de son Esprit adorable.

C'était à son Directeur qu'elle donna cét Ecrit.