Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

IV-7. La souffrance des démons

CHAPITRE VII
Dieu la sanctifie par les souffrances des Démons émes; & en étant délivrés elle ne soûpire qu'apres les souffrances pour les prochains.

Saint Ignace Martyr souhaittoit saintement que le feu, que Croix, que les bêtes, & que méme les démons d'enfer, & tous leurs tourmens vinssent fondre sur luy, pourveu qu'enfin il eût la joïssance de JESUS-CHRIST. Tota tormenta diaboli in me veniant, tantum ut Christo fruar

Nôtre Catherine de saint Augustin a eu les mémes desirs, & elle s'y est saintement abandonnée, ayant connu les volontez de Dieu sur elle; & son adorable Providence ayant prix cette voye pour la santifier: Entendons-la parler elle méme.

Le 12. jour de May 1664. dés le grand matin, je sentis comme une armée de démons qui vinrent fondre sur moy; ils me dirent qu'ils étoient envoyez pour faire de les Exercices avec moy . (Car j'allois commencer ma retraite spirituelle :) Le Chef de cette troupe se disoit étre le Destructeeur de la gloire de Dieu; ils disent qu'ils sont génez, & me prient de les laisser aller. Je sçay bien que je ne susi pas capable de leur causer cette contrainte; mais je ne puis dans la disposition où je me trouve, desirer que pas un de cette troupe s'en aille; au contraire, je me sens poussée à souhaiter qu'ils y restent, & qu'ils y opernt selon leur rage; mais toûjours selon l'ordre de Dieu. Il me reprochent que c'est par un orgueil & une presomption insupportable, que je desire qu'ils demeurent chez moy. Il est vray que ce n'est pas ma veuë qui me porte à ce desir, l'unique chose qui me pousse, au moins je me le persuade, c'est que je sens que Dieu veut que je m'y acandonne; & il ne m'est pas presque libre de faire, ny de vouloir autrement en cela; il me semble que le Pere de Brebeuf tient ma volonté comme captive & qu'il en dispose.

Le 14. Février 1665. je sentis approcher de moy une si grande foule de démons qu'elle me sembloit étre comme des atomes qu'on voit en l'aire à la faveur du Soleil. J'eus une ters-grande frayeur à les approche; & a mesure qu'ils venoient aupres de moy, je sentois leur impression tres-fortement; Cela me causa une peine si horrible que je npuis l'expliquer, & il n'y a point de doute qu'elle ne m'eût été insupportable, sans un secours tres-particulier de Dieu; lequel je ne ressentois pas neanmoins sensiblement: Au contraire, je me croyois totalement abandonnée de luy. J'eus toutefois recours à luy, & je priay le Pere de Breveur de m'aider dans l'état où j'étois. Je sentis incontinent la presence de ce charitable Directeur; mais ce fut pour redoubler mon affliction, parce que il m'obligeoit de m'abandonner à l'aveugle à la volonté de Dieu; méme souffrir tout le reste de ma vie que cette troupe, si c'étoit pour la plus grande gloire de Dieu, restât toûjours en moy. Dans une peine aussi grande qu'étoit celle que je ressentois, je m'y abandonnay autant que je le pouvois; mais il falut me faire une telle violenc pour cét acte d'abandon, que je fus toute trempée de sueur; ensuite de quoy je sentis une ters-grande paix de l'avoir fait; & il me sembla que d'oresnavant je n'aurois plus de peine à m'abandonner à tout ce que Dieu ordonneroit de moy. Au méme moment que j'acquiesçay à Dieu, toute cette bande d'enfer se voulut retir; mais il en resta environ mille qui entrerent avec regret, & se plaignirent de cette contrainte. Le reste s'en alla en un moment.

Le Samedy veille de Pâques, le 24. Avril 1666. on m'accrut le nombre de mes hôtes, apres que je me fus offerte à Dieu, dans le desir que j'avois qu'il fût moins deshonoré par tant de mauvaises Communions qui se font en ce temps. On m'a prise au mot; j'en suis contente, & ne souhaite en aucune façon sortir de cét état.

Le Samedy avant le Dimanche de la Quinquagesime 1667. on me donna un renfort d'hôtes, & le Mardy au soir je m'en trouvay si remplie, que je pensois en étre toute penetrée par tous les sens à confusion, sans pouvoir en distinguer le nombre. Lesurs operations sont à l'ordinaire, mais plus importunes, à raison de la multiplicité & de la continuité, ce qui me met dans une humeur insupportable à moy méme. Je me fais violence afin de ne pas paroître telle aux autres. Les démons sont chez moy dans une division perpetuelle, il faut que je souffre leurs querelles & leurs cous; car tout retombe sur moy de temps en temps. On me fait offrir mon état pour la personne qui m'a été recommandée, de laquelle je ressens toûjours la resistance, l'aheurtement & l'aveuglement.

A ce propos il est bon de remarquer icy, que quoy que cette charitable fille portât ainsi le poids de la colere de Dieu, & les tentations de quantité de personnes pour lesquelles on la faisoit offrir à Dieu, & pour les pechez desquelles elle souffroit les peines qui leur étoient deuës, comme au ssi pour les Ames du Purgatoire; quoy qu'un si grand nombre de démons exerçassent sur elle leur rage, & la penetrassent si terriblement de leurs impressions malignes, qu'elle en avoit l'imagination toute corrompuë; & tous les sens & l'esprit méme tout infecté; ce qui la reduisoit souvent comme à un dernier desespoir, se croyant la plus criminelle du monde & digne de mille enfers: Toutefois jamais tout cela n'a paru à qui que ce soit, ny au dedans, ny au dehors de la maison; ayant toûjours conservé un entretien si raisonnable, un exterieur si composé, une douceur de paroles & de visage qui gagnoit tellement les coeurs, un air de pieté si égal, que toûjours elle paroissoit remplie de Dieu, & qu'elle étoit en tout temps la consolation des desolez, le refuge des affliges, & le conseil de ceux qui en avoient besoin: Ses réponses étoient toûjours si prudentes, si Chrétiennes, si Religieuses & si saintes, qu'on la jugeoit étre toûjours dans le calme d'esprit, & dans une paix de coeur inalterable. Jamais on n'auroit crû qu'elle eu tant de combats à rendre contre tant de démons d'enfer, & tant de tentations horribles, dont une seule auroit été capable de vaincre les plus solides & les plus forts esprits. Il est vray que de son naturel elle avoit un tres-bon esprit, un jugement excellent, une grande prudence, une modestie née avec elle; elle étoit sans passion, & toûjours maîtresse de soy-méme; elle avoit une charité tres-haute pour tout le monde; un courage à tout entreprendre & à ne rien craindre hors le peché. Mais l'Onction du saint Esprit qui relevoit ces rares qualitez naturelles, est ce qui la rendoit vrayement & forte & genereuse, & toûjours invicible. Sa patience, son obeïssance, son humilité, & la grande conformité qu'elle avoit aux volontez de Dieu, & sa solide devotion mettoient le comble à sa sainteté.

Le Vendredy Saint de l'année 1667, étant à Tenebres, environ les trois heures apres midy, je sentis, dit-elle, tous mes hôtes sortir; & je me sentis l'esprit entierment libre, & quitte de toutes mes tentations passées. Il me semble que ce fut Nôtre SEigneur qui les chassa tous, & voulut me donner par cette expulsion, le temps & le moyen de reparer ce que les démons m'avoient fait faire poar le passé. Je n'ay eu aucune connoissance si c'est pour un temps ou pour toûjours; je ne laisse pas de sentir les démons, & méme quelques fois en voir, mais ils ne font aucune impression sur mon esprit; ils me donnenet des coups assez rudes, ils me font des grimaces, ils me menacent & sont enragez contre moy; mais tout cela ne me fait aucune impression; seulement je ressens fort bien leurs coups, quoy que je ne sente pas au dedans de moy leurs operations.

J'ay prié Nôtre Seigneur avec toutes les instances qui m'ont été possibles, de ne pas me donner ce repos d'esprit, s'il étoit moins à sa plus grande gloire, & aux desseins qu'il a eu sur moy de toute éternité. Je me suis offerte à luy pour retourner à mon premier état, & y étre le reste de mes jours, dans le desir que sa bonté me donne de souffrir quelque chose pour le prochain; car jen prentens aucune utilité pour moy, ny aucune récompense de tout ce que j'ay souffert, & de ce que je pourray souffrir à l'avenir. De toute l'étenduë de mon ame je me suis sacrifiée, & sacrifie pour étre la victime de la divine Justice; & satisfaire, si elle daigne bien m'aggréer, pour les pechez de mes freres. Ce n'est pas que les croix & les souffrances ne me soient pas sensible presentement; mais nonobstant la peine que la nature y ressent, je le les goûte avec une certaine joye qui a quelque chose de l'avidité. Cela n'empéche pas que je ne sois horriblement infidele à Dieu.

Dans mes exercices commencez le 28. Avril, j'ay été portée d'un ardent & vehement desir de souffrir, en sorte qu'il m'a semblé les six premiers jours, que je ne pourrois vivre sans croix, & j'en sentois une avidité tres-grande; Je n'ay pû pendant tout ce temps m'empécher de m'offrir à tout ce qu'il plairoit à la divine Majesté. Comme j'avois une pleine liberté, j'ay tâché de ne pas pedre un temps si precieux, pour reparer mon impuissance passée; les jours ne m'ont duré que des momens; j'aurois souhaitté d'avoir mille coeurs pour aimer Nôtre Seigneur. Depuis que la tempête est revenuë, je n'ay pas laissé de rester dans ce sentiment, quoy que d'une façon qui n'étoit pas sensible. Le dernier jours je me suis sentie pressée & poussée de mon saint Directeur d'écrire les sentimens que Dieu me donnoit pour fruit & conclusion de mes exercices. Ce que je n'ay pû faire sans souffrir une horrible contradiction de mes hôtes qui enrageoient de cela. A chaque moment que j'ay écrit, avec vérité, j'en ay ressenty de rudes coups.