Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

V-5. Délivrance d'âmes

CHAPITRE V
Elle obtient la delivrance de quantité d'Ames du Purgatoire

Il mourut à Quebec le 12. jour d'Aoust 1666. une femme âgée de 38. ans, fille aînée de Monsieur Giffard, & intime amie de nôtre Catherine de S. Augustin, qui l'appelloit sa soeur, & qui luy rendit jusqu'à la fin les témoignages effectifs de son amitié. Voicy ce qu'elle en écrivit elle-méme.

Le 12. Aoust je me sentis poussée extraordinairement à prier Dieu pour Mademoiselle de la Ferté, & me sembloit qu'à chaque moment le Pere de Brebeuf me faisoit faire divers actes pour elle. Le soir qu'elle fut preste d'expirer, son Ange Gardien & le Pere de Brebeuf me firent renouveller avec plus de ferveur, les actes que j'avois fait pour elle le long de la journée. Il me sembloit comme la voir auprés de moy; je conceus qu'elle avoit receu en ces derniers momens des assistances toutes particulieres de la sainte Vierge, des saints Anges, & du Pere de Brebeuf; j'eus une consolation speciale sur son sujet à l'heure de sa mort; & je sentis pensant à elle, un repos & un contentement qui n'est point ordinaire, avec une certaine asseurance de son bonheur, qui me faisoit sans cesse remercier Dieu pour elle. Ce n'est pas que je crûsse qu'elle dût si-tôt jouïr du bonheur eternel; mais seulement qu'elle étoti dans le chemin asseuré de son salut. Je conçus méme qu'elle seroit assez peu de temps en Purgatoire; mais qu'elle y souffriroit neanmoins beaucoup.

Le 13. d'Aoust entendant la saint Messe, son ame me fut presente; & elle me fit entendre interieurement la joye qu'elle avoit d'étre morte, & qu'elle étoit infiniment obligée à Dieu de l'avoir tirée à luy. Elle me fit aussi entendre qu'un certain homme l'avoit ensorcelée, & luy avoit causé la mort; mais que le dessein qu'il avoit eu de nuire à son ame, aussi bien qu'à son corps, navoit eu d'autre effet, que de luy servir de merite. Je comprenois qu'elle me disoit: Ô si un tel sçavoit le bien qu'il m'a causé! Que ses veuës & ses dessins ont mal reüssi ? Je conçus qu'outre le mal que cét homme avoit eu dessein d'apporter à son corps, il avoit encore prentendu de la mettre dans l'impatience & la desunion avec une personne qu'elle aimoit, & qu'elle honoroit selon Dieu. Bref que sa pretention, ou plûtost celle du demon, étoit de nuire à l'ame plus qu'au corps. Il me sembloit qu'elle avoit compassion de luy, & regretoit son aveuglement. Je sentis cette presence depuis l'Evangile de la Messe jusqu'à la Préface.

Depuis le 14. jusques au 21. du méme mois, je fus tourmentée extra-ordinairement de corps & d'esprit.

Le 22. au soir, environ le sept heures, passant dans une allée pour aller rendre service aux malades, je me sentis tirée par mon rochet; je crus que c'étoit quelqu'une de nos Soeurs. Je dis Deo gratias, comme c'est nôtre coûtume; mais au lieu de répondre, je vis passer devant moy la defunte toute lumineuse, comme un cristal. Elle me dit, passant par devant moy, qu'elle me remercioit du soint que j'avois eu d'elle; & me témoigna de la reconnoissance de ce que j'avois souffert pour elle. Je sentis dés ce moment mon esprit soulagé & en paix, quoy que mes hôtes fussent en méme nombre. Je sentis à l'occasion de cette deffunte une grande consolation pour son bonheur, & je ne pense jamais à elle que je ne remercie Dieu de l'avoir tirée à luy. Le Pere de Brebeuf l'aida grandement à la mort, & m'a semblé que depuis il s'interssa fort à la faire aller promptement dans le Ciel.

À ce propos je rapporteray une chose assez remarquable, d'un Pere de famille de la ville de Quebec, decedé depuis quelques années, & qui étant au Ciel, y avoit solicité aupres de Dieu la mort d'une sienne fille, comme une grace pour son salut. Il apparut à cette sainte Religieuse, & luy parla en la façon qu'elle rapporte elle-méme: ce fut en 1667.

La nuit, dit-elle, en laquelle Mademoiselle de Villiers mourut, je songeay que je voyois feu Monsieur son pere, lequel me dit : Ma chere Mere, je vous prie ne demandez point la santé de ma fille, j'ay demandé deux aînées à Dieu, il m'a donné celle-cy, laissez la moy, c'est pour son bien ce que j'en fais: J'espere que j'auray bien-tôt l'autre. Je me réveillay, & à mon réveil je me sentis tout-à-fait portée à demander à Dieu qu'il appellât à soy la malade. J'eus un certain pressentiment qu'elle étoit à l'agonie, & je priay pour elle à cét effet.

Dés le 6. jour du mois de May 1664. jour de la fête de saint Jean à la Porte-Latine: Ce grand saint l'avoit tellement solicitée à communier pour Monsieur de Lauzon encore vivant Conseiller d'Etat, qui pour lors étoit à Paris, & qui avoit été plusieurs années Gouverneur de Canada, & auqel tout ce païs est obligé de son établissement & des conversions qui s'y sont faites des Sauvages à la Foy, ayant été celuy qui par son zele & son autorité poursuivit efficacement, & qui obtint du Roy Loüis XIII en 1629, l'établissement de la grande Compagnie de la Nouvelle-France. dont il fut Chef le premier de tous. Saint Jean, dont il portoit le nom interessa cette Religieuse charitable à secourir ce bienfaiteur insigne du Canada, par ses prieres, ses souffrances & ses communions; jusques à luy avoir apporté luy méme la sainte Hostie par trois fois, en des jours qu'elle ne pouvoit pas communier par d'autres voyes; luy signifiant les choses en particulier, & dans le détail qu'elle devoit demander à Dieu pour luy, afin qu'il se preparât à une sainte mort.

Du depuis elle pria souvent pour luy; enfin il mourut le 16. Février 1666. & obtint de Dieu sa délivrance du Purgatoire. Voicy comme elle en parle.

Le 5. Août 1666, ayant déterminé le matin dans mon esprit, d'offrir ma communion pour la Reine Mere deffunte, lorsque j'entray au Choeur pour assister à la sainte Messe que Monsieur de Lauzon de Charny disoit pour l'ame de deffunt Monsieur de Lauzon son pere; je me sentis fortement poussée d'offrir toutes mes petites devotions pour ce deffunt. Le Pere de Brebeuf m'ayant fait connoître qu'il étoit encore retenu en Purgatoire: Je sentis une si forte pente à prier pour luy, qu'il n'y eut sorte de termes que j'y employasse aupres de la sainte Vierge, pour l'obliger à tirer cette amme & la rendre joüissante du bonheur eternel. Je ljy representois tout ce que ce Serviteur de Dieu avoit fait pour son honneur pendant sa vie; & apres l'avoir instamment prié, je pris la hardiesse de luy demander sa délivrance absolument; m'offrant de bon coeur à souffrir, s'il restoit encore quelque chose à payer rien ne me coûtoit, pourveu qu'elle daignât m'accorder ma requête. Le temps de la Messe se passa dans ces desirs & ces demandes: Au temps de la Communion je les redoublay, & j'interessois fort saint Jean l'Evangeliste & le Pere de Brebeuf, pour obtenir l'effet de ma demande. Un peu apres que j'eus communié, je vis ceette ame laquelle m'avoit semblé presente au saint Sacrifice, s'en aller au Ciel, conduite par la sainte Vierge & saint Jean l'Evangeliste, son bon Anage, & le Pere de Brebeuf; Je la priay de se souvenir de moy, ce qu'elle me promit: Je luy recommanday une personne pour qui j'étois en peine; à qui j'ay les dernieres obligations; Elle me dit qu'elle s'en souviendroit, & me donnoit à connoître qu'il étoit dans un extréme besoin du secours du Ciel. Je conceus qu'il étoit en état de peché mortel; c'est pourquoy je luy demanday instamment qu'elle s'interessât pour son salut; & elle me le promît.

Le Canada a été si heureux d'envoyer au Ciel cét ancien Conseiller d'Etat, mort âgé de 82. ans; deux de ses enfans dont il a été parlé au Chapitre second, & la Religieuse dont il est fait mention au Chapitre 4. qui étoit sa fille.

Ce ne seroit jamais fait que de vouloir raporter le grand nombre d'ames du Purgatoire auxquelles elle a donné secours, & qu'elle a délivrées ; souffrant pour elles, & ayant pris sur soy-méme leurs peines, par l'ordre de la justice & de la providence de Dieu; y étant invitée par divers Saints du Paradis, & souvent par la sainte Vierge. Je finiray cette matieere par ce qui suit.

Au mois d'Octobre 1662. un soir, dit-elle, apres avoir été deux heures fort paisible dans mon lit, je me sentis tirer & appeler. J'eus frayeur de cette voix. Elle redoubla jusques à trois fois, disant; viens, regarde; il sembloit que l'on disoit cela avec regret, & comme une personne qui seroit en colere. À la troisiéme fois je me trouvay dans une prison profonde & obscure, où l'on me dit que les ames étoient purgeées apres la mort. J'y en reconnu trois qui étoient de ma connoissance, dont l'un n'est morte que depuis peu & de laquelle je n'ay pas d'asseurance pour en étre éloignée. Elle n'avoit pas longtemps à rester en ce lieu. Ce qui l'y retenoit, étoit le trop grand soin qu'elle avoit eu de se procurer soulagement pendant sa maladie, & le desir trop impatient de la vie.

Une autre ame pour n'avoir pas été exacte à la sainte pauvreté

La troisième, qui se plaignoit beaucoup de moy y étoit depuis deux ans, pour avoir negligé à se confesser deüement d'une imperfection à laquelle elle étoit sujette, & dont elle n'avoit pas soin de se corriger. Elle me dit Helas! que vous étes cruelle en mon endroit: Vous sçavez mon mal & n'y apportez point de remede; voyez l'état où je suis reduite. Elle avoit la bouche au dedans & au dehors toute ulcérée. Je luy dis qu'elle s'adressât à celuy qui étoit son Confesseur, afin de trouver un plus souverain remede à son mal. Elle me fit souvenir que plusieurs fois j'avois eu la pensée de satisfaire pour elle, en la façon qu il'eût pû soulager, & que pourtant je ne l'avois pas fait. Il est vay, mais je ne sçay comme je ne l'ay pas exécuté; j'en perdois incontinent la pensée. Apres quelque entretien que nous eûmes, je me trouvay bien loin du lieu où je pensois étre.

Je vis aussi dans le méme lieu deux Jesuites que je ne connoissois point: ils étoient retenus bien court; mais ils n'étoient point brûlez.

Du depuis l'ame dont j'ay parlé cy-dessus, & qui se plaignoit de moy, m'est encore apparuë deux fois; une pendant Matines, proche de la Reverende Mere Superieure, un peu tournée vers elle, & vis-à-vis l'Autel de la sainte Vierge, comme attendant du soulagement de ce côté-là: son voile couvroit la moitié de son visage; la seconde fois son visage étoit plus découvert. Elle me demanda la Messe du lendemain, ce que je luy impetray. Cette ame fut délivrée le jour de l'Exaltation de la saint Croix 1663.