Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

III-6. Apparition d`un saint Homme

CHAPITRE VI
Vu grand Serviteur de Dieu, mort depuis huit ans, lui apparoît pour la consoler & la fortifier.

Les combats que l'enfer luy livroit se multipliant & s'augmentant toûjour, le Ciel de son côté voulut luy donner secours, & luy faire sensiblement connaître la protection qu'elle en devoit attendre. Elle avoit eu pour Superieur, lors qu'elle étoit Novice à Bayeux, un saint Homme, grand Vicaire du Diocese, & Channoine Theologal & Penitencier, qui étoit mort dés l'année 1654. nommé Monsieur Michel Rocher de Berneys : Ce saint Homme luy apparut pour la fortifier & la consoler.  Voicy comme elle en parle.

Le 28. Janvier 1662. comme je recitois Matines avec la Communauté, je sentis Monsieur de Berneys present, proche de moy; & quoy que je ne visse rien, je ne pouvois néanmoins douter de la presence de ce bon serviteur de Dieu. Il me fit ressouvenir de l'entretien que j'avois eu avec luy, trois jours avant mon départ de Bayeux, & ce souvenir m'a depuis fort servy. Il m'exhorta d'avoir une grande confiance en Dieu, parce qu'il me soútiendroit dans tous les besoins où j'étois; Que j'eusse à dire, ou à faire dire à Monsieur l'Evéque, qu'il ne devoit pas étre en peine pour moy, & que la cause de mon état n'étoit pas ce qu'il pensoit: qu'il avoit tout sujet d'esperer que Dieu ne me manqueroit pas de les necessitez pressantes où j'étois, & qu'il ne faloit rien craindre, mais plûtôt se confier en Dieu, que sa protection continueroit sur moy; que je fisse un grand fond sur sa bonté, & que j'eusse une entiere soûmission à ses saintes volontez; qu'il ne faloit pas s'ennuyer, mais avec courage s'offrir à tout ce que la Providence ordonneroit; Que la sainte Vierge seroit toûjours ma bonne Mere; Que je m'abandonnasse à ses soins; & que je ne perdisse jamais le souvenir de ce qu'elle m'avoit été; non plus que la confiance que de tout temps j'avois eu en elle; qu'il me faloit bien garder de la perdre, ou de la laisser amortir. Que c'étoit maintenant le temps d'un plus grand besoin, & ainsi que je m'asseurasse qu'elle m'aideroit. Car tout de méme, me dit-il, qu'une bonne Mere ne pourroit pas abandonner son enfant qu'elle verroit sur le bord d'un precipice; mais au contraire ce seroit alors qu'elle en prendroit plus de soin, de peur qu'il ne se precipitât, & qu'elle ne le laisseroit pas un seul moment sans étre à ses côtez; ainsi la sainte Vierge qui vous aime mille fois plus que vôtre Mere, ne vous laissera pas, pouveu que vous ayez une entiere confiance en elle. Vous a-t'elle jamais manqué au besoin? Alors il me remit en memoire plusieurs rencontres assez perileuses où j'avois tout-à-fait éprouvé sa protection. Il m'ordonna aussi que j'eusse à lire le 6. Chapitre de la seconde Epître aux Corinthiens , & que je n'oubliasse pas la resolution que j'avois euë de m'abandonner à tout ce que Dieu voudroit de moy, lorsque j'étois venuë en Canada. En effet, étant sur le point de mon départ, ce saint Homme qui étoit Superieur de nôtre Monastere, me fit diverses interrogations, lesquelles se sont trouvées toutes avoir eu leur effet. Car il me dit que peut-étre je n'aurois pas eu le pied hors de la Maison où j'étois, que je changerois de disposition; Que cette paix & cette douceur se changeroit en amertume; Que non seulement sur les chemins, mais méme lorsque je serois arrivée dans le païs, j'y trouverois bien du changement; Que les personnes seroient bien differentes de celles que je quittois: Mais, disoit-il, ma fille, si non seulement les creatures vous font souffrir; mais si ce Dieu plein de bonté à vôtre égard se met méme de le a partie contre vous, ce sera bien le plus rude: & si non content de cela, il permet aux démons de vous tourmentter, que direz-vous? car toutes ces choses vous pourront bien vous arriver. Voyez si vous voulez bien vous exposer à tout cela; je vous en avertis; pensez-y, il n'y a rien qui vous oblige absolument de faire ce voyage.

Il me semble que je conceus assez ce qu'il me disoit: mais Dieu m'attiroit si fortement, que je ne pouvois resister à son appel, sans une grande infidelité. Ce fut ce qui m'obligea de luy faire cette réponse : Mon Pere, vous sçavez quelle est la peine de mon coeur, quand je pense à faire ce voyage; cependant je sens que Dieu veut cela de moy; & ainsi quand tout ce que vous me dites, m'arriveroit, si Dieu le permet, j'espere que sa bonté me soûtiendra, & dés à present je m'y soûmets. Il m'asseura depuis qu'il avoit toûjours eu la pensée que je devois étre préferée à mon aînée pour le Canada; & que Dieu asseurément m'y vouloit.

Trois jours apres l'apparition de ce saint Homme, le démon s'étant apparu à elle sous la ressemblance de son Confesseur, pour la tromper par ses mauvais conseils; entr'autres choses il luy deffendit d'ajoûter aucune créance à ce qu'elle avoit ressenty de Monsieur de Berneys, & de ne pas lire le Chapitre 6. de la seconde Epître aux Corinthiens; luy disant que ce n'étoit qu'une pure imagination; & en la quittatn, il luy dit qu'il s'en alloit prier Dieu pour elle. Mais Dieu qui la conduisoit, permettoit qu'elle discernât le vray d'avec le faux; & jamais autant qu'on a pû le sçavoir, elle n'y a pas été trompée.

Une fois entr'autres le démon luy ayant apparu sous la figure de son Directeur, lorsqu'il étoit sur mer allant de Canada en France, il luy dit que Dieu l'avoit ainsi miraculeusement transporté pour sa consolation, & pour luy donner conseil dans son besoin; mais elle découvrit bien-tôt l'artifice de Satan, & n'eût garde de s'en laisser surprendre.