CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
III-7. Élection du Père de Brébeuf
CHAPITRE VII Le Pere Jean de Brebeuf Jesuite, natif de la ville de Bayeux, avoit mené une vie Apostolique dans le Canada, où il avoit porté la Foy de JESUS-CHRIST dés l'année 1625. principalement dans le païs des Hurons; & apres y avoir fait plus de sept mille Chrétiens, & une Eglise vrayement animée de l'Esprit de Dieu, au milieu de la Barbarie: Il fut pris par les Iroquois ennemis de la Foy, l'année 1649 avec le Pere Gabriel l'Alement, lors qu'ils étoient actuellement à confesser, à baptiser & à encourager leur troupeau. Ensuite ils furent depoüillés tout nuds, charges de bastonnades; & on leur appliqua des flambeaux ardens par tout le corps; on leur pendit au col des haches toutes rouges de feu; on leur en mit sous les aisselles; & ces Barbares en derision du saint Baptême, leur verserent des Chaudieres d'eau bouillante sur leurs têtes, & sur leurs corps tout déchirez; ils couperent le nez & les lévres du Pere de Brebeuf, & ils luy brûlèrent la langue, luy metant des charbons de feu dans la bouche, étans furieusement animez contre luy, de ce qu'il portoit les Chrétiens Hurons à recourir à Dieu dans leur martyre, & voulans l'empécher de parler de Dieu. Enfin ils le mangerent tout vif, luy ayant enlevé de grands morceaux de chair, qu'ils devorerent devant ses yeux à demy rôtie. Cét homme de Dieu brûlé ainsi à petit feu l'espace de trois heures, ne jetta jamais aucun soûpir; il avoit toûjours les yeux au Ciel, & invoquoit sans cesse le saint nom de JESUS, avec autant de douceur & de paix, que s'il eût été dans son Oratoire faisant son Oraison. Ce fut le 16. Mars 1649. Sa Vie n'avoit pas été moins sainte que sa mort; car il possedoit dans une éminent degré toutes les vertus qui font les Saints; l'humilité, la patience, la douceur, la charité, & une mortification continuelle, dans la vie du monde la plus austere. Il étoit toûjours uny à Dieu, qui le favorisoit d'un don d'Oraison tres-sublime, & de beaucoup d'autres graces gratuites que l'on admire dans les grands Saints. Nôtre Seigneur s'étoit souvent apparu à luy; quelquefois en état de gloire, mais d'ordinaire portant sa croix, ou y étant attaché. Cette veuë imprimoit dans son coeur des desirs si ardens de tout endurer pour son Nom que quoy qu'il eût déjà beaucoup souffert en mille occasions, des peines, des fatigues, des persécutions & des douleurs étranges, il comptoit tout cela pour peu de chose, & se plaignoit toûjours de qu'il ne souffroit rien, & que Dieu ne le trouvoit pas digne de luy faire porter la poindre partie de sa croix. Nôtre-Dame luy étoit aussi tres-souvent apparuë, qui d'ordinaire laissoit en son ame des desirs tres-violens de souffrir, mélez cependant d'une suavité si sainte, & d'une telle soûmission aux volontez de Dieu, que son esprit en demeuroit ensuite dans une paix profonde, & dans un sentiment fort élevé des grandeurs de Dieu, l'espace de plusieurs jours. Saint Joseph, les Anges & plusieurs Saints du Paradis, s'étoient souvent fait voir à luy; souvent Dieu luy avoit donné la grace de penetrer dans le fond des coeurs, & d'y voir l'état interieur des consciences, ou pour les dons de Dieu qui y étoient répandus, ou pour les pechez les plus cachez, & que qui que ce soit au monde ne pouvoit sçavoir. Nôtre Seigneur luy avoit revelé tres-souvent les choses futures; & quelquefois il luy faisoit connoître les bontez toutess particulieres & toutes amoureuses qu'il avoit pour ceux qui s'abandonnoient eux-mémes, & tous leurs interêts, pour le salut des Ames: & luy avoit fait voir la place qu'il leur reservoit dans le Ciel pour une éternité. Plusieurs années avant sa mort il avoit fait voeu de faire en toutes choses ce qu'il connoîtroit étre à la plus grande gloire de Dieu. Ce fut à ce grand serviteur de Dieu, à ce grand Homme Apostolique, à ce premier Apôtre des Hurons, que JESUS-CHRIST confia le soin de sa fidele servante & épouse, pour la proteger puissamment contre toutes les attaques & embûches des démons, & afin de luy servir de Directeur & Conducteur, dans un chemin si difficle & si dangereux, par où la divine Providence vouloit conduire à une haute sainteté . Elle ne l'avoit jamais veu ny connu durant sa vie; mais étant arrivée à Quebec l'année 1648. le Pere de Brebeuf qui étoit aux Hurons, trois cent lieuës plus loin dans les terres, y fut martyrisé l'année suivante; & la nouvelle en ayant été apportée à Québec, dés-lors cette heureuse fille fut touchée d'une sis sainte mort, le considera comme un Martyr de JESUS-CHRIST, & le prit pour un de ses Protecteurs dans le Ciel; & depuis conserva toûjours pour luy un respect & une devotion toute particuliere; dont ce bon Pere la recompensa abondamment, luy ayant servy de Directeur jusqu'à la mort. Voicy comme elle-méme en a parlé dans son Journal. Le 25. Septembre 1662. apres la Communion, je pensay avoir veu devant moy le R.P. de Brebeuf tout brillant de lumiere, portant une couronne éclatante de gloire, & à l'endroit du coeur une Colombe blanche comme neige, qui marquoit la douceur & la mansuetude, qui avoit paru en ce serviteur de Dieu pendant sa vie. Cette colombe portoit écrit sur les grandes plumes de ses aîles; les sept Dons du sain tEsprit, & les huit Beatitudes. D'une main il tenoit une palme, & de l'autre il montroit cette susdite Colombe. Il étoit revétu d'une Aube, & par dessus il avoit une Etolle de broderie d'or & de perles tres-blanches, & me paroissoit toute environné de rayons. Il me sembloit neanmoins étre comme triste dans cét état de gloire. Et il dit : Qui aura pitié de moy? Qui est-ce qui me soulagera ? Je ne luy voulus rien dire, mais j'adressay la réponse à la tres-sainte Vierge. Et alors il me dit: Que sa peine étoit de voir qu'un païs pour lequel il avoit tant travailé, & où il avoit donné son sang, fût maintenant une terre d'abomination & d'impiété: & s'adressant à moy en particulier, il me dit: Soeur de saint Augustin! nous porterez-vous compassion? Aidez-nous je vous en prie? Comme je continuay à m'adresser à la sainte Vierge pour répondre; il me dit: dites cecy à vôtre Confesseur, & faites ce qu'il vous dira. Ne vous mettez pas en peine de raisons qui vous viennent au contraire. Comme il parloit, je sentis approcher de moy plusieurs démons; amis je vis que le Pere inclian un peu la tête vers le saint Sacrement, & à ce moment méme ils s'enfuirent, & je ne les ressentis plus de tout le jour, jusqu'au soir qu'entrant dans nôtre chambre, je vis deux rangs de Spectres & de Monstres, qui se disoient l'un à l'autre, comme en raillant, place, place à la Sainte, elle est bien avancée, elle parle déja aux Saints du Paradis; & en disant cela, ils me déchargerent plusieurs coups.
Le 28. Octobre jour de saint Simon, depuis le Mercredy au soir jusqu'au Samedy commencé, je n'eus pas un quart-d'heure de libre;
mais sur-tout depuis les huit heures du soir du Vendredy, jusqu'à minuit & un quart, je fus dans un état si déplorable,
qu'il me sembloit que j'étois actuellement dans l'enfer avec les démons.
Apres ce temps, ayant veu subitement une grande lumiere dans nôtre chambre, je fus saisie d'une telle frayeur que j'en demeuray toute interdite.
Cette craint étoit si violente, qu'elle dissipa toutes mes tentations.
Alors comme me réveillant d'un profond sommeil, je commençay à dire, sans y penser:
Ha sainte Vierge! que je suis miserable, & que ma vie est longue,étant remplie de tant de malheurs;
Je me vois abandonnée de tout, excepté des démons, qui me remplissent si fort de leurs maudites impressions,
que je leur suis entieremenet semblable.
Est-il vray sainte Vierge! que vous n'abandonnez jamais ceux qui esperent en vous?
Ah! j'éprouve, ce me semble le contraire.
Vous me laissez perdre: Ne ressentiray-je jamais pleinement vos bontez?
Montrez à cette pauvre déliassée que vous étes sa Mere.
Je dis ces paroles sans reflexion, dans une tres-grande frayeur;
car la lumiere que je voyois m'imprimoit cette crainte, ayant je ne sçay quelle majesté, que je ne sçaurois pas bien exprimer.
Tout d'un coup je sentis le calme dans mon coeur, & mes yeux furent comme desillez.
Je vis deux personnes fort proches de moy: L'une étoit la sainte Vierge, l'autre son bon Chapelain & fidele serviteur,
le Pere de Brebeuf, revétu d'un Surplis & d'une Etole.
Car ce fut elle-méme qui le nomma devant moy, son bon Chapelain.
Je ne doutay aucunement que ce ne fût la Mer de Dieu.
Je n'osois rien dire par respect; mais je la regardois, & tout me charmoit en elle.
Elle m'adressa ces mots
pourquoy te plains tu ma fille?
N'ay-je pas plus de sujet de plainte contre toy, puisqu'hier tu dis à ton Confesseur, que tu voidrois n'avoir jamais songé à moy ?
Tu ne voulus pas me saluer avec luy?
Que me répons tu à cela?
Je fus surprise entendant cela; car il ne me souvenoit pas avoir rien fait de semblable; & je lui dis:
Paronnez-moy, Madame; je croy que vous étes la Mere de Dieu;
& je ne me souviens pas que de ma vie je vous aye ainsi méprisée;
vous le sçavez, saint Vierge, que je suis toute à vous,
& que j'ay toûjours été vôtre servante.
- Mais repart-elle, comme étes-vous à moy, n'étant pas à mon Fils? J'ay raconté tout cecy pour me mieux exprimer, comme si ce que j'ay veu avoit été exterieur; mais la lumiere, ny les personnes n'ont point été vueës des yeux du corps; Je n'ay pas non plus entendu des paroles; & ma bouche n'en a point proferé, sinon quand j'ay dit mon Rosaire; mais cela m'étoit plus clair, plus distinct & plus intime, que si je l'avois veu, entendu, & touché, Mon ame ne me paroissoit pas plus asseurément unie à mon corps, que vrayement je sentois & voyois ce que dessus, & le moindre doute ne m'est pas venu, qu'il y eût de l'illusion. Le 27. Février, je sentis à mon Oraison, dit-elle dans son journal, un grand reproche, de ce que je n'avois pas en quelque rencontre contribué à faire honorer le Pere de Brebeuf; il me sembloit que c'étoit luy qui me faisoit ce reproche, & qui me marquoit les occasions que j'avois négligées sur ce sujet. Il me fit entendre que Dieu se vouloit servir de luy, pour porteger le païs; & que ceux qui auroient recours à luy, en ressentiroient un puissant secours. Je ne fis point état de cela, & pris cette veuë pour une pure imagination. Une seconde & une troisìéme fois la éme veuë recommença, & on me faisoit toûjours ressouvenir de tout ce qui avoit precedé il y avoit quatre mois. Je ne me rendis point du tout à cela, & j'y sentis une si grande contrarieté, que je tâchay à éloigner le plus qu'il me fut possible, cette pensée de mon esprit. Au commencement de la sainte Messe, ayant atteint une Relique du Pere de Brebeuf, & la portant à ma bouche pour la baiser, j'eus le bras retenu & ne pûs pour lors, quelque effort que je fisse, l'approcher de ma bouche. Je sentis plus fortement que le matin le méme reproche; & il me semble que la raison pour laquelle je fus empéchée de baiser la Relique, fut pour m'ôter hors du doute que j'avois, que ce fût le diable qui me voulût tromper. J'eus l'esprit tout-à-fait convains que le Pere me vouloit proteger specialement. J'ay eu une grande opposition de la part des démons de mettre ce que dessus par écrit. Ils ont une haine & une rage toute extraordinaire contre ce saint Martyr. Le 7. Mars, faisant mon action de graces apres la sainte Communion, je sentis le Pere de Brebeuf present, lequel me vouloit faire entendre quelque chose. Je sentis en méme temps une grande opposition a me persuader sa presence, & je détournay méme aussi-tôt mon esprit de cét objet, de crainte qu'il n'y eût de l'illusion. Toutes mes précautions neanmoins furent assez foibles; car malgré toutes mes resistances, mon esprit se retrouvoit comme uny à la presence de ce Saint Homme. Cependant voulant encore rejetter plus efficacement ce que je croyois étre distraction; je recitay vocalement le Pater: Mais comme je prononçois ces paroles, sanctificetur nomen tuum, je me trouvay attachée au méme objet, & plus attentive qu'auparavant. Aussi à méme temps ma crainte redoubla, & je pris une resolution de reciter le Pater avec plus d'application. Pour y mieux reussir, je m'adressay à la sainte Vierge, & la priay nistamment de ne pas permettre que mon esprit s'égarât de la sorte: Je luy fis ensuite de grandes protestations du respect que j'avois pour son bon serviteur le Pere de Brebeuf; & que ce n'étoit pas pas mépris, que je ne voulois pas écouter celuy qui me vouloit parler; mais seulement pour éviter la tromperie, qui pourroit étre cachée sous cette apparence. Apres divers colloques que je fis avec la Mere de mon Dieu, mon esprit s'appliqua si insensiblement à ce saint Marty, que sans aucune reflexion j'écoutay tout ce qu'il vouloit me dire. Il me donna à entendre qu'il souhaitoit de moy quelque chose; & me demanda deux ou trois fois, ce que je luy donnerois pour le jour de son triomphe. Comme j'étois en peine en moy méme de ce que jeluy pourrois donner, il me témoigna que je devois par l'avis de mon Confesseur, commencer le lendemain une neuvaine, & qu'elle finiroit le 16. du mois; que je ferois en cela ce que mon Confesseur m'ordonneroit& & que luy me promettoit de me donner trois choses, telle que je voudrois demander; ou plûtôt telles que le voudroit mon Confesseur: Il me repit doucement de la resistance que j'avois apportée à l'écouter, & m'asseura qu'en cela il n'y avoit rien à craindre de la part du démon, qui ne vouloit pas me laisser joüir en paix de cette faveur, à cause de la haine & la rage qu'il porte aux serviteurs de JESUS-CHRIST. Il m'encouragea beaucoup à m'abandonner à Dieu, & je me sentis pour lors tout-à-fait fortifiée. Cela s'étant comme évanoüi, je restay assez en paix environ une heure & demie; mais apres je me trouvay plus en doute qu'auparavant, & fis une bonne resolution de ne pas une autre fois me laisser emporter si facilement. La resolution que j'avois prise de dire au plûtôt ce qui m'étoit arrivé, se changea, & je ne pouvois me resoudre à rien dire plûtôt que le Vendredy. Le lendemain ayant occasion de demander mon Confesseur, je ne m'y pouvois resoudre; & je le demanday sans le vouloir, ny penser le faire. Luy ayant dit tout cela; il m'ordonna ce que je devois faire pour la neuvaine; & les trois choses que je devois demander au Pere de Brebeuf, suivant sa volonté. La premiere, qu'il plût à sa divine Majesté faire de moy au corps & à l'ame, dans le temps & l'éternité, tout ce qu'il jugera pour sa plus grande gloire & son plus agreable plaisir; me faisant la grace de m'y abandonner moy-méme d'une volonté parfaite; & de donner sa benediction à tous ceux qui voudront entrer dans ce sentiment avec moy. La seconde, qu'il plaise au Pere de Brebeuf de se faire connoître en ce païs, pour la gloire de Dieu & le salut, tant des François que des Sauvages, pour lesquels & aupres desquels il a tant travaillé pendant sa vie, & qu'il employe le credit qu'il a aupres de Nôtre Seigneur, & de Nôtre-Dame, pour ce sujet. La troisiéme, que le méme Pere assiste puissamment & efficacement ceux qui travaillent en France, pour le bien de la gloire de Dieu, & du salut des Ames en ces quartiers. |