CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
III-8. Le choix de son état
CHAPITRE VIII Voicy ce qu'elle en écrit. Le 18. de Mars de la méme année 1663, environ sur les huit heures trois quarts, faisant mon examen du soir, je sentis la presence du Pere de Brebeuf d'une façon qui étoit tres-intime, quoy qu'il n'y eût rien de visible ou d'exterieur. Il me sembla que ce bon Pere me faisoit offre & me donnoit choix, de rester comme j'étois, ou de passer en un état plus paisible: qu'en l'un & l'autre je plairois à Dieu, quoy que l'un neanmoins fût plus santifiant, & plus propre pour aneantir en moy tout ce qui étoit de moy-méme; toutefois il vouloit que je choisisse librement ce que je voudrois, & se promettoit en cela de me donner toute satisfaction. Mon esprit ne fut aucunement combattu por demander l'un des deux états; mais sans m'arréter à faire de réponse au Pere que je sentois proche de moy, je m'adressay à luy, en le regardant comme dans le Ciel; & il me semble que je proferay ces paroles: Ce que je sens maintenant, peut bien étre une tromperie & une illusion; mais je nsuis asseurée que le Pere de Brebeuf est dans le Ciel: Je sçay bien aussi qu'il a de la charité pour moy, & comme je m'y confie de tout mon coeur, je le supplie de m'obtenir, non pas ce que je souhaitterois, mais bien ce que luy méé connoîtra le plus utile & le plus avantageux pour plaire à Dieu. Je le supplie en cela, & en toute autre chose qui me touche, d'en prendre la conduite absolument, sans avoir égard à aucun de mes desirs. Je parlay de cette sorte un peu de temps; & je sentois que celuy dont la presence m'étoit si intime, approuvoit la façon que j'observois à luy répondre; & m'imprimoit doucement une grande soûmission et dépendance de ceux qui me tiennent la place de Dieu; & il me demandoit une mortification continuelle des satisfactions de la nature, m'en remarquant méme quelques exemples pour ce jour-là. Au commencement de Mars 1664. le Pere de Brebeuf me fit entendre qu'il desiroit qu'on fist une neuvaine, par laquelle on s'adressât à luy pour les necessitez du païs; & que Monseigneur nôtre Evéque se joignît à cette dévotion. On me remit à la volonté de mon Confesseur, pour la direction de la neuvaine; mais luy m'ayant ordonné quelques penitences & abstinences, le Pere de Brebeuf me les augmenta; m'ordonnant d'en demander la permission. Le dernier jour de la neuvaine, je me deffendis de la Communion que l'on me voulut donner pendant la sainte Messe, dans le crainte que j'avois que cela ne me fût procuré par les démons. Allant apres Vépres pour servir au Refectoire pendant le dîné, & m'étant un peu arrétée en passant devant une Image de Nôtre-Dame, m'y étant mise à genoux, je me sentis comme immobile, en me voulant relever; & il me sembla que la sainte Vierge me faisoit arrêter, & que sans que mes resistances y pussent apporter d'empéchement, elle me fit donner la Communion par le Pere de Brebeuf, mais ce fut d'une façon toute autre que les precedentes; car il me sembal que je sentis l'Hostie sur ma langue, avant que de sçavoir comme cela se faisoit; & je reçus une consolation toute extraordinaire, & telle qu'il me sembloit étre entierement changée en celuy que je venois de recevoir. Les especes durerent longtemps à ce qu'il me sembloit, & plus qu'à l'ordinaire; quoy que selon que je me persuade, à chaque fois que je communie; je ressente la presence réelle de Nôtre Seigneur plus de deux ou trois heures. La veille du glorieux saint Joseph, environ à neuf heures & demie du soir, je me trouvay comme enlevée dans un lieu spatieux, & là il me sembla voir saint Joseph, le Pere de Brebeuf, & le Pere Gabriel l'Alement. Chacun avoit deux Anges qui les avoient accompangez pendant leur vie, à cause de la Mission Apostolique, & du Martyr, où Dieu les avoit destinez. Saint Joseph s'adressant au Pere de Brebeuf, luy demandoit ce qu'il me donneroit le jour de sa fête, pour le soin que je prenois d'un païs qui luy appartenoit: Le Pere sembloit le pousser à continuer & effectuer la bonne volonté qu'il avoit pour moy; & il me sembla que tous deux me demandoient ce que je voulois. Je m'excusay de rien demander, & ne voulois du tout adherer à leurs desirs. Ils me pressoient, mais j'étois dans la crainte de faire quelque réponse qui fût contraire au dessein de Dieu. Enfin étant obligée par le Saint & par le Pere, de demander ce que je voudrois pour moy & pour les autres; je les priay de donner au païs ce qu'ils connoissoient y étre pour le mieux; & à moy, selon que Dieu l'aggréeroit davantage. On n'accepta pas une demande si generale pour mon égard; & le Saint voulut que je nommasse en particulier ce que je desirois; m'offrant la délivrance des démons, si je le voulois; à quoy je n'acquiesçay point, ayant comme une asseurance que ce n'étoit pas le meilleur pour moy, Je voulois que ce grand Saint me donnât selon ce qu'il verroit de plus expedient pour mon bien; mais absolument il voulut que je fisse choix moy-méme; De sorte qu'étant pressée de faire ma demande, je le suppliay de m'obtenir de Dieu une remission entiere de mes pechez; en sorte que mon ame fût totalement purifiée de toutes les soüillures que le peché y avoit faites jusqu'à maintenant; & qu'à l'avenir je ne fusse plus si infidele à Dieu que de l'offencer, non seulement griévement, mais méme veniellement. A méme temps il me sembla que j'étois purifiée de tous mes pechez, & que mon ame étoit ornée d'une grace admirable, qui me rendoit tres-agreable à Dieu; & il me semble que saint Joseph fit intervenir la sainte Vierge, pour me montrer à elle en cét état. Elle m'en témoigna grande satisfaction, & me congratula d'avoir demandé ce que j'avois demandé. J'y ajoûtay encore pour d'autres qu'ils eussent pareille grace: Et sur tout qu'ils fussent comme confirmez pour l'avenir. On me l'accordda pour quelques-uns qu'on me nomma. Cette veuë, ou plûtôt cette asseurance de la presence de ses Saints, se dissipa, & me laissa toute la nuit & le jour suivant, dans de tres-grandes reconnoissances & beaucoup de paix interieure. Il me seroit difficle d'exprimer la consolation que je ressentois, quoy qu'elle ne fût pas d'une maniere sensible. Le Pere eut la bonté de la vouloir conduire en son Oraison, elle s'en est ainsi déclarée Le 25. Mars à une heure apres minuit; je me sentis portée à remercier Nôtre Seigneur JESUS-CHRIST des graces qu'il avoit faites au Pere de Brebeuf; sur-tout de l'avoir rendu semblable à luy par les souffrances. Je fus environ un demy quart d'heure à faire divers colloquee à Nôtre Seigneur sur ce sujet; & m'adressant quelques à luy, je luy témoignois la part que je prenois à son bonheur, & à l'honneur qu'il avoit reçu de son bon Maître. Je m'entretenois avec luy, comme si je l'eusse veu; & mon coeur y trouvoit une joye, quoy que peu sensible: Il me sembla que ce bon Pere vouloit m'aider particulierement en ce jour; & il me faisoit tres-souvent offri à Dieu pour étre une victime de sa tres-sainte volonté. A deux heures j'oüis une voix qui me disoit: à cette heure JESUS-CHRIST a été flagellé pour la premiere fois chez Caïphe. La méme voix sembla m'inviter à accompagner Nôtre Seigneur; & je crû que c'étoit mon Ange-Gardien: De sorte que je me mis en devoir de faire la disciplie; mais j'y fus aidée par quatre bras si forts des démons qui se vangeoient sur moy, que je pensay étre accablée sous la pesanteur & la gréle de coups. Quoy que je sentisse mon corps tout moulu, mon esprit neanmoins étoit content & en paix; & je ne pouvois du tout desirer un état different de celuy-cy.
A trois heures, étant allée devant le saint Sacrement, apres quelques Prieres, on me fit commencer mon Oraison en cette maniere.
C'étoit le Pere de Brebeuf qui me mettoit dans al pensée ce que je devois dire. Lors ql'on préchoit la Passion, je sentois une grande contrarieté en moy méme de la part des démons; ils eussent bien voulu me quitter; mais il étoient retenus malgré eux: & il me sembloit que le Pere de Brebeuf les arrétoit, & ne leur permettoit pas de s'écarter pour un moment. J'en fus jusqu'a trois heures apres midy fort tourmentée; mais ce n'étoit que pour le corps qui souffroit; car les démons n'avoient pour lors aucun pouvoir de me nuire intérieurement; & ils enrageoient, & auroient bien voulu pour lors étre hors d'avec moy. En contre-échange, pendant le méme temps je sentis toûjours le Pere de Brebeuf; mais d'une maniere si intime, qu'il me sembloit étre comme l'organe où se formoit premierement tout ce que j'operois interieurememnt ou exterieurement: De sorte que je ne pouvois ny dire, ny penser, ny operer quoy que ce soit, que dépendemment de sa volonté; & quoi que je sentisse redoubler ma géne de la part des démons, mon esprit cependant étoit content; & au lieu de vingt-cinq que je sentois distinctement autour de moy, j'étois préte d'en souffrir au double & au triple. On m'en ajoûta seulement six. En un autre lieu elle marque comme le Pere de Brebeuf la dirigeoit mot à mot. Voicy ses paroles: Au temps de l'Oraison & de la Messe, le Pere de Brebeuf me faisoit prier Dieu & faire des actes mes les suggerant mot à mot, & ne me donnant pas méme la liberté de luy resister, & de luy desobeïr quoy qu'en ce point mon obeïssance fût fort contraintre & forcée ; Il me fit commencer par un acte d'adoration, que je repetay, malgré moy plusieurs fois; puis de desir que Dieu fût glorifié par toutes ses creatures, & en elles; de soûmission & d'abandon à ses saintes volontez; d'offrande, d'action de grâce, de demande, & autres actes semblables: & parfois il me permettoit de me plainde; & comme je disois : Monseigneur! je ne diray point comme Job que vous me tourmentez admirablement; mais je ressens la pesanteur de vôtre main avec quelque espece de cruauté. Il me faisoit ajoûter au plûtôt, Domine! vim patior responde pro me, comme me voulant faire excuser aupres de Dieu, & prier que si mes paroles s'éloignoient du respect que je devois à la divine Majesté, il luy plût luy-méme les rectifier; & qu'il voyoit bien qu'il étoit l'auteur de ces plaintes. Le méme Pere de Brebeuf m'ayant fait repeter plusieurs actes; enfin pour conclusion, luy méme dit à Dieu pour moy, ce que pour lors il ne m'étoit pas possible de moy-méme de proferer: & je disois aux pauses qu'il faisoit, je le veux & l'agrée de tout mon coeur: mais ce n'étoit pas que je le disse avec aucun sentiment sensible d'aggréement, parce que pour lors je n'en pouvois avoir; mais par violence, & par force que le Pere vouloit que je me fisse. C'est ainsi que dans la guerison miraculeuse du Pere Marcel Mastrilly par saint Françoix Xavier qui luy apparut, lorsqu'il étoit proche de mourir, ce grand Saint le dirigeoit mot à mot, luy faisant faire voeu d'aller au Iapon, pour y étre Martyr. |