CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
III-13. Les démons l'éloignent de la communion
CHAPITRE XIII Il n'y a rien que les démons haïssent tant, que la Communion de ceux qui en approchent saintement. C'est pourquoy ils font souvent tous les efforts pour les en détourner. Nôtre Catherine y étoit tres-bien disposée au jugement de ceux qui la gouvernoient; quoy qu'elle s'en estimât tres-indigne. Ses Confesseurs avoient cette experience, que quoy que les démons revoltassent son esprit & son coeur contre Dieu, & contre la sainte Communion; toutes fois au moment & au temps de la Communion, son coeur se trouvoit tout changé, & JESUS-CHRIST en étoit le Maître & répandoit dans le fond de son ame des graces extraordinaires: C'est pourquoy tres-souvent ils luy ordonnoient la Communion & JESUS-CHRIST encore plus frequemment. La veille de l'Assomption 1662, je fus (dit-elle) extraordinairement tourmentée du démon d'impiété, en sorte que pendant Matines ce n'étoient que des blasphémes dans mon coeur, excepté pendant le « Te Deum », & ensuite durant toutes les Laudes. Pendant toute la nuit je vis & entendis plusieurs démons, qui vomissoient sans cesse des blasphémes & des maledictions contre Dieu; & qui m'imprimoient des desirs d'en faire autant qu'eux, sentant en moy un esprit de haine contre Dieu, m'imaginant que j'y auroit un extréme plaisir. Mais je m'en sentois empéchée, ce qui, ce semble, me déplaisoit. Un des principaux démons me fit entendre que deux choses me privoient de ce grand plaisir: La Communion que j'avois resolu de faire le lendemain, & deux disciplines que j'avois prises ce jour-là; l'une publique avec la Communauté, & une particulière pour les Ames du Purgatoire, pendant laquelle les démons m'avoient puissamment aidé, s'étant mis dans mes bras. Ce malheureux avoit grand envie de me détourner de la Communion. Le lendemain come je m'approchois de la grille où nous Communions, j'eus peine à y aborder, & je vie en dehors, de chaque côté de la grille, un gros crapau qui avoit la gueule beante come attirant l'air & voulant empécher l'Hostie de passer outre. Toutefois ayant reçu la sainte Hostie, mon coeur fut tout calmé, & JESUS-CHRIST me fit connoître qu'il étoit le grand Maître, & qu'il possedoit mon ame. Le 13. Octobre je m'en allay de la Confession, dans la resolution de ne pas communier le lendemain. J'avois eu beaucoup de peine à me confeser, & à dire diverses Prieres que mon Confesseur me faisoit repeter apres luy, ce qui me revoltoit contre luy; ces Prieres me déplaisant beaucoup. Je luy demanday persmission de ne point communier, mais quelques instances que je luy en fisse; jamais il n'y voulut acquiescer. Je sentois une espece de rage conre luy, & je luy dis que resolument je ne communierois point: Il me dit qu'absolument je le ferois, & que la sainte Vierge seroit la Maîtresse. Toute la nuit, & tout le lendemain matin, je me fortifiois dans mon opiniâtreté, de ne point vouloir communier : Toutefois comme le temps de la Communions s'approchoit, je me rangeray avec les autres, & malgré toute ma resistance je m'y sentois comme portée par force : on me tiroit pour m'empécher de marcher; mais apres plus fortement on me contraignoit d'approcher : Je sentois un étrange combat de part & d'autre : Je sentois une espece de rage de ne pouvoir obeïr au desir que j'avois de desobeïr. Le démon dans cette indignatoi où j'etois, me poussoit à me venger de la contrainte qu'on me faisoit, & à profaner la sainte Hostie; c'étoit comme malgré moy que je l'adoray toutefois, en la recevant, & ressentant la presence réelle de Nôtre Seigneur. Le 21. apres l'Oraison, je sentois une grande peine à communier ce jour-là; j'avois neanmoins envie d'obeïr malgré toutes les oppositions contraires; & je promettois à Nôtre Seigneur, quoy que languissamment. Tout d'un coup ma disposition fut tellement renversée, que non seulement ce jour-là; mais pour l'avenir, je jugeois que c'étoit une chose execrable pour moy de communier. Je pris comme par dépit des Reliques du Reverend Pere de Brebeuf, & luy adressay ces paroles : « Sont-ce donc ces Reliques qui me causent tant de mal? Je les jetteray si lin, qu'elles ne me nuiront plus. » IL me sembloit qu'elles contribuoient à augmenter mes peines : Or comme je les voulois jetter, je les approchay de ma bouche pour les baiser, quoy qu'avec grande repugnance. Au moment que mes lèvres les toucherent, mon couer fut touché d'un pressent desir de promettre à Dieu, que nonobstant mes repugnances, je recevrois la Communion, non seulement ce jour-là; mais que je n'en perdrois aucune par ma faute; & que je me la procurerois le plus souvent qu'il me seroit possible, m'y obligeant come poar voeu ; à quoy je ne déterminay rien, que je n'en eusse demandé conseil. Mais malgré moy on me fit promettre de le faire, si on me le permettoit. J'avais eu un grand mal des dents depuis le jour precedent; car disant « Domine labia mes aperies », je senty comme un petit souffle dans deux de mes dents, & la douleur n'étoit pas ordinaire : Elle me dura jusques au matin, & me fut ôtée lorsque l'on commençoit l'Introit de la Messe, « Salve sancta parens ». Or, cela s'en alla tout subitement, & me laissa en repos. Quand je fus à la sainte Communion, je vis un petit Maure à main gauche du Prêtre, lequel souffloit sur le Ciboire, & faisoit soûlever les Hosties : il excitoit en moy de grands mouvements de colere & d'impatience. Le 23. Octobre je commençay à apprehender tres-fort la Communion du lendemain; neanmoins je m'efforçois de dire à Dieu que je communierois. La nuit j'entendois les démons qui s'animoient pour m'empécher de communier. Ils me mençoient si je le faisois. Je me sentois cependant resoluë à ne pas leur obeïr. Le matin pendant la Messe ils recommencerent leur combat; & il me sembloit que cela me fortifioit de plus en plus à communier. Je le promettois à Dieu, & pour ce jour-là, & le plus souvent que je pourrois. Au temps que je devois aller selon mon rang à la sainte Communion; jamais il ne me fut possible de me remuer, quelque effort que je fisse. Je demeuray bien mortifiée que le diable eût le dessus : Environ une demie-heure apres la Messe, j'allay à l'Autel de Nôtre-Dame, où je commençay à luy décharger mon coeur, & au Pere de Brebeuf, me plaignant de ce qu'ils m'obligeoient de faire des promesses, & que cela n'étoit pas en mon pouvoir de les exécuter: Je leur parlois avec une grande confiance, & mon coeur étoit sensiblement atteint de n'avoir pû obeïr. J'oüis une voix distincte : « Et est-il pas encore temps de communier ? Communie : » & en méme temps la pensée me vint d'envoyer prier le Pere N. de venir en nôtre Eglise pour me communier; ce qu'il fit, & je communiay, mais avec bien de la peine; car un tremblement me saisit si fort, que je ne pouvois presque me tenir. Il me quitta apres la Communion; & la nuit suivante ceux qui avoient concerté la precedente, d'empécher ma communion, me firent bien ressentir que leurs coups étoient animez de colere; ils protesterent qu'ils ne me donneroient aucune paix, si je ne voulois les croire. Aussi bien ce n'est que par respect humain que tu nous desobeïs, me disoient-ils; & ainsi c'est une chose asseurée que tu nous appartiens. Nonobstant toutes ces apparitions de l'enfer à ce qu'elle s'éloignât de la sainte Communion, non seulement Nôtre Seigneur a voulu qu'elle s'en approchât tres-souvent, mais souvent il luy a ordonné de faire des Communions extraordinaires, comme une amende honorable pour les sacrilegues Communions qui se faisoient. C'est ainsi que nous lisons dans la Vie de sainte Therese, que les victoires signalées que cette remportoit sur les démons, les obligerent d'assembler comme un corps d'armée contr'elle, & de tenir un conseil de guerre pour déliberer des moyens de la surmonter & de la perdre; & qu'ayant conclu de luy ôter la vie tout d'un coup, une legion de diables la vint attaquer pendant une nuit, & se jettant à la foule sur elle, ils s'efforcerent de l'accabler & de l'étouffer. Quelques Religieuses entendans le bruit de cette allarme, accoururent au secours, & y jetterent de l'eau benîte, ce qui les chassa si promptement, que las Sainte les vit culbuter, & tomber les uns sur les autres, comme si on les eût precipitez du haut d'un rocher pour les briser. Mais revenons à nôtre Catherine. Le 23. Avril 1664. jour & Fête de Pâques, étant allée à deux heures du matin devant le saint Sacrement (dit-elle dans son Journal) apres y avoir été environ un demy quart-d'heure, je sentis comme la presence de Nôtre Seigneur & du Pere de Brebeuf: Il me sembla que Nôtre Seigneur voiloit que je luy offrisse ma communion du jour, & celle de l'Octave, pour supplément des Communions faites en ce temps indignement; & aussi pour obtenir à plusieurs la grace de les bien faire. Depuis il demandoit que tous ces huit jours je fisse continuellement amende honorable devant sa divine Majesté, pour les sacrileges, irreverences & impietez qui se commettent envers le saint Sacrement: Le Pere de Brebeuf confirma le tout, & me fit entendre que les démons ne m'inquieteroient point durant ce temps-là. Il me commanda de communier autant que Dieu en ordonneroit, sans avoir crainte. Apres, luy méme, en la presnce de Nôtre Seigneur, m'apprit qu'un tel étoit soricer; & m'ordonna que je travaillasse pour sa conversion. Il me fit commencer à faire amende honorable; il me fit adorer JESUS-CHRIST, & le remercier, non seulement pour moy, mais pour les autres: Je me suis trouvée depuis ce temps-là en paix, quoy que j'eye ressenti quelques démons; mais ils sont comme des soldats desarmez, qui n'osent rien dire, & qui n'ont point, ou fort peu de pouvoir. Deux ans apres en 1666. veille de Pâques, 24. Avril, m'étant offerte à Dieu, à de nouvelles peines; afin qu'il fût moins deshonoré pour tant de mauvaises Communions qui se font en ce temps; je fus prise au mot, ajoûte-elle, & l'on maccreut le nombre de mes hôtes. J'en étois tres-contente, & ne souhaitois en aucune façon sortir de cét état. Exprés on a jugé à propos de rapporter icy le détail de toutes ces choses & l'operation des démons sur les personnes qu'ils obsedent, afin que cela serve d'instruction aux Directeurs qui se trouveront dans de semblables experiences; car sans ces connoissances, aisément on prendroit des conduites tout autres qu'il n'est expedient, dont les démons tirent un avantage tres-grand, & les pauvres Ames sont privées du secours, dont ils ont un extréme besoin en ces états là extrémement pénibles; qui sont plus frequens, que d'aucuns ne pourroient penser; quoy que souvent l'operation du démon ne soit pas si connuë; car souvent le démon se tient caché le plus qu'il peut, afin que l'on n'y apporte aucun remede. |