CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
III-14. Tromperies des démons
CHAPITRE XIV Les démons ne pouvans pas la faire tomber dans le peché par les tentations continuelles qu'ils suscitoient en elle, dans des excez inexplicables, ont eu recours à toutes les tromperies dont leur malice etoit capable. Ils luy sont apparus souvent sous l'apparence de JESUS-CHRSIT, de la sainte Vierge, de l'Ange-Gardien, de son Conducteur celeste le Pere de Brebeuf, de ses Directeurs et Confesseurs, pour la surprendre enfin, s'ils eussent pû mais Dieu n'a pas permis qu'elle y ait été trompée. J'en rapporteray icy quelques exemples tirés de son Journal. C'est elle méme qui parle. Proche de la Fête de l'Annonciation de l'année 1662, étant à Matines, je vis paroître au milieu du Choeur, à main droite un Ange, & un peu au dessous une fille d'environ quatorze ans. Elle avoit une robe d'étoffe blanche fort propre, mais simple; un grand voile sur la tête, son visage étoit rempli d'une grande modestie, & tout son maintien préchoit & portoit à l'humilité. L'Ange avoit un visage plus éclatant, & il me sembloit participer à la gloire. Il étoit neanmoins d'une façon tres-respectueuse devant cette Vierge, & sembloit avoir pour elle de profons respects. Ils étoient tous deux trounez vers moy, & je sentois que leurs regards imprimoient dans mon coeur de grands desirs d'humilité. Cela me donna plus de confiance de m'arréter à les considérer. J'entendois ce qu'ils me disoient l'un & l'autre, comme d'une façon spirituelle : Voicy ce qu'ils me faisoient entendre. Qu'en la méme façon que je les voyois pour lors, tout de méme la chose étoit arriuée, lorsque l'Ange vint salüer la sainte Vierge, c'est à dire que la posture de la sainte Vierge & l'Ange étoit semblable, que le visage de la Ste Vierge étoit tout de méme; & que je considerasse les divins changemens de celuy de la Vierge, & je concevrois facilement quels avoient été les divins mouvemens qui avoient possedé son coeur, lorsque ce grand Mystere s'étoit accompli. En efft, comme l'Ange l'eut salüée, son visage se couvrit d'une sainte pudeur; & faisant un pas en arriere, elle paroissoit demander avec un tres-grand respect, « Qumodo fiet istud ? » L'ange pendant ce temps que la Vierge parloit, admiroit la sainteté & la sagesse de sa demande : Puis ayant fait une petite pausse apres la demande de la Vierge, comme par plus grand respect, il acheva son embasade avec un visage qui tenoit d'une autorité supréme. La Vierge éoutoit avec attention;; & quand il eût achevé, elle tourna les yeux vers le Ciel, & dit dans un profond sentiment d'humilité, de respect & de soûmission, « Fiat mihi secundûm verbum tuum. » Pour lors je vis comme si un deluge de graces fussent tombés en elle, & elle en étoit comme abîmée. L'Ange me dit que mon desir seroit accompli, ( qui étoit de n'avoir ny voix active, ny passive, dans les élections que nous devions faire dans quelques temps :) J'en demeuray d'accord; mais je voulois aussi étre de la Fête, & pour lors je commençay à penser à moy-méme : Apres tout la sainte Vierge avoit raison de dire, que Dieu avoit regardé l'humilité de ssa servante. Mon Dieu, disois-je, je vous remercie pour elle & avec elle : Le Pere de Brebeuf me donna impression de dire le « Magnificat »; à quoy j'obeïs. Cette Vierge paroissoit avoir de la peine à le souffrir. Cela me donna un peu de soupçon. Je continuay, & lorsque je disois « Deposuit potentes de sede », l'Ange avoit de la peine à tenir contenance, & son visage s'alteroit grandement. Comme je repetois ce Verset, son inquietude redoubloit, & le visage de la Vierge perdoit de sa douceur: Ils s'évanoüirent tous deux : quoy que je me défiasse beaucoup de leur tromperie, neanmoins je ne fus pas si-tôt détrompée, parce que cela avoit imprimé en moy un desir de l'humilité, qui me paroissoit venir d'ailleurs que du diable. Le malheur et qu'il ne fut pas de longue durée. Peu de temps apres, entrant un soir dans nôtre chambre; je vis un jeune-homme de bout, & d'un visage fort doux : J'eus frayeur de le voir si proche de moy. Il me dit d'un accent fort benin; ne crains point, ma soeur; Je ne viens pas icy pour te nuire : C'est moy à qui Dieu a donné le soin de te garder; suis mes conseils, sois fedele à exécuter les inspirations que je te donneray, & tu seras heureuse : Tout son discours ne me satisfaisoit point. Il m'importunoit fort d'étre si proche : Je ne me jugeois pint du tout étre en état de conserver si familierement avec les Anges. Voyant mon mécontentement, il me dit d'un ton plus haut: Que crains-tu ? Je n'ay aucune mauvaise intention; puisque c'est moy qui suis ton guide; ne méprise point les avis que je te veux donner : Confie toy en moy, & n'aye point de peur de tout le reste. Ce que je te recommande le plus, c'est d'écouter attentivement ce que je te diray interieurement, & puis te mettre en devoir de l'exécuter. Ne te donne point de peine si tu as tout dit, ou non. Il est bon de tout dire à ceux qui te conduisent : mais tout autant que tu le peux. Car à quoy bon le faire avec inquietude ? Il faut garder sur toutes choses la paix du coeur. Enfin il vit bien que sa presnce ne m'étoit pas trop agreable. C'est pourquoy il me dit : Tu te défies de moy, ma Soeur ! Sçache que je n'ay aucune envie de te nuire. Je m'en vay, & pour marque de la verité de mes paroles, tu seras en paix toute la nuit, & durant l'Oraison. En effet, je fus bien en paix; & pourtant je ne fus pas fort credule à tous ses bons avis; & si j'eusse suivy par effet ses belles inspirations, j'aurois fait d'assez mauvaises oeuvres. Un autre jour revenant de porter du feu dans la Sacristie des Prétres, je vis comme un Pere qu'étoit à genous devant le saint Sacrement : Il m'appela, me disant: Est-ce vous, la Soeur de saint Augustin ? Comme j'eus dit, oüi. C'est à vosu à qui j'en veux. Qu'y a-t'il depuis que je ne vous ay veüe ? Je luy en rendis compte entierement, croyant que ce fût mon Confesseur. Il me dit apres m'avoir entenduë, qu'il se trouvoit un peu en peine à mon occasion; que jusqu'à présent il n'avoit point eu de doute, sinon depuis un jour ou deux; que pour demander lumiere au saint Esprit, il étoit souvent en prieres, & qu'il continuoit : Qu'au reste cela ne me devoit pas donner d'inquietude, que je me tinse en repos; & qu'il me dirtio ce que je devois faire; que pourveu que je fusse soûmise, il n'y avoit rien à perdre pour moy; qu'il faloit laisser faire Dieu, & que se laissant conduire, il n'y avoit rien à craindre. J'acquiesçay à tout ce qu'il me disoit; sur-tout lors qu'il me dit, que c'étoit avec rasion que je croyois donner consentement à beaucoup de choses; & qu'en effet, il voyoit clairement que cela étoit de la sorte: Je luy dis qu'il y avoit longtemps que de ma part je le voyois bien, & que luy & mon Directeur ne me vouloient pas croire. Il me réondit que nonobstant cela, j'eusse à demeurer en paix, qu'il continuoit à faire des prieres pour moy, & que quand Dieu luy donneroit d'autres lumieres, il me les diroit; que seulement il voyait clair à ce que je ne communiasse pas si vouvent; & que je ne le ferois, ny le jour de Nôtre-Dame, ny jusqu'à ce qu'il m'eût dit autre chose. Je luy representay que mon Dieureteur m'avoit expres défendu de m'abstenir d'aucune communion, & que je ne le pouvois pas faire. Il dit que j'avois trop de prudence, & que je ne le laissasse faire, qu'il sçauroit bien s'accommoder avec mon Directeur. Je ne pûs m'empécher de luy dire: « Mais mon Pere, voyez-le, s'il vous plaît; car je ne croy pas qu'il me le permette; pour moy je ne demande pas mieux. » Alors il prit un ton de voix plus ferme, & me tança de ce que j'avois des raisons: qu'il ne vouloit point que j'en eusse du tout avec luy, & que je me laissasse conduire comme un enfant. Je répondis à cela que je le ferois; mais que je le verrois Mercredy, & que peut-étre il changeroit. Pour lors il me dit que peut-étre en ce temps-là, à cause des Vespres, je n'aurois pas le loisir de rester longtemps avec luy, & que je ne me misse pas beaucoup en peine si je n'avois pas le loisir pour l'heure d'y aller; qu'il m'avoit parlé suffisamment aujourd'huy avant que de me quitter. Il m'encouragea fort à souffrir, & em promit de prendre grand interêt à ma perfection; que pourveu que je luy obeïsse bien, je n'avois rien à apprehender. Mais je ne pûs douter qu'il n'y eût de l'illusion. A quelque temps de là, comme je disois mon Rosaire devant le saint Sacrement, depuis midy jusqu'à une heure, je fus invitée par un qui se disoit étre Ange, à regarder un Livre qu'il tenoit; & comme je n'obeïssois pas à cette semonce, & méme n'en faisois aucun cas, ny semblant de l'entendre; il m'excusa sur ce que j'étois trop mal, & me convia doucement à m'aller divertir avec les autres; & que luy demeureroit en ma place: Mais je dis en moy-méme: Quand bien je devrois mourir icy, je resteray, & acheveray mon Rosaire. Pour une troisiéme offre, il voulut pour me soulager, dire la moitié de mon Rosaire, mais à voix basse; en sorte que luy & moy nous dirions alternativement les « Ave Maria »: Je ne luy répondis rien, & continuay: Ce qui luy déplut & le fâcha: de sorte que s'en allant, il me donna deux coups bien rudement, lesquels ourte la douleur, me laisserent une impression d'impieté horrible. Le 29. Septembre 1664, j'eu une tres-grande certitude de la protection de saint Michel envers moy. J'acquiesçay avec paix à ce que ce Saint demandoit de moy. Au moment de la sainte Communion, je me sentis prise à la gorge par deux mains fort rudes, qui me vouloient empécher d'avaler la sainte Hostie: J'eus recours à saint Michel, & il me sembla qu'il donna la chasse à ces mauvais hôtes, & qu'apres j'avalay facilement l'Hostie; il m'est seulement demeuré un mal de gorge à l'endroit où ces mains m'ont pressée. |