CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
IV-5. Jésus en colère
CHAPITRE V C'est elle-méme qui parle. Au commencement de cette année 1644. le Pere de Brebeuf me recommanda de prier beaucoup pour le païs, me faisant apprehender que Dieu ne le châtiât severement, pour des crimes énormes qui s'y commettent. Vers la fin de Janvier je vis les démons faire grande fête pour les progrés qu'ils faisoient; sur tout dans les troubles qu'ils avoient excitez, tant au regard des dixmes, que pour autre chose. Ils estimoient avoir guain de cause, ayant pour eux l'esprit de N. En Février il m'a été montré par deux diverses fois uen petite fiolle remplie de l'ire de Dieu, de laquelle fiolle il y avaoit déja une perite goutte versée sur ce païs; mais elle étoit alors toute préte d'étre veree toute entiere. La premiere fois que la vis, je me trouvay au milieu de douze Juges, l'un desquels presidoit & étoit assis sur un lieu éminent; son trône étoit soûtenu par des Anges, qui étoient dans un grend respect en la presence de ce Juge. Je crüs que c'étoit JESUS-CHRIST qui tenoit cette petite fiolle pleine de l'ire de Dieu; à l'aspect duquel je fus saisie d'une si grande crainte, qu'il me sembloit être impossible de la pouvoir supporter. J'étois come aneantie & écrazée sous le poids de la justice de ce Juge irrité. Je conçus que si une goutte de cette liqueur venoit à étre versée, tout étoit perdu & en danger d'étre renversé & détruit. Je concevois tres-vivement l'énormité du peché, & cette veuë me tenoit comme aneantie devant ce Juge. Je souffrois en sa presence une peine telle qu'il mêtoit avis qu'il faloit qu'il soûtinst ma vie, pour pouvoir supporter cette rigueur; car cette colere & cette ire me sembloit étre épanchée sur moy. Dans cette peine où je me trouvois, je regarday si ces autres Juges qui étoient-là, n'arréteroient point la main de celuy qui vouloit verser la fiolle. Pas un ne se mettoit en peine de le faire, ce qui redoubloit terriblement ma crainte; & regardant encore un coup, je reconnus le Pere de Brebeuf, que je priay d'arréter le bras de Nôtre Seigneur; car déja il e sembloit hausser & verser la fiolle. Il y alla & le pria d'attendre. Il en survint encore un que je crûs étre saint Michel, lequel avec le Pere retenoit le bras de Nôtre Seigneur, & demanderent encore un peu de delay. Il le leur accorda avec peine; mais pour peu de temps s'il n'y avoit du changement. Cela me donna une grande joye: je ne pouvois assez congratuler saint Michel & le Pere, de la charité qu'ils avoient pour le païs. Les autres qui avoient aussi appaarence de Iuges, ne disoient mot; mais tous témoignerent de la joye de voir le souverain Juge un peu adoucy. Saint Joseph sur tout en fit beaucoup paroître: il me sembla que la sainte Vierge y intervint, pour donner plus de poids à la priere de saint Michel & du Pere de Brebeuf. Ces douze Juges étoient ce me semble cinq Apôtres, S. Joseph, S. Ignace, S. François Xavier, le Pere de Brebeuf; & les deux autres étoient des Souverains Pontifes. Il me sembloit pour lors que je ne dormois pas. Ce qui est constant, c'est que l'idée du Juge m'est vivement restée plusieurs jours, & que le péché m'étoit tres-vivement representé, sa laideur opposée à la sainteté de Dieu, & beaucoup d'autres choses que je ne puis dire; en sorte que j'en étois toute interdite, & je souhaitois à tout moment que tout tombast sur moy, afin que la colere du Iuge fust appaisée, car je ne pouvois supporter qu'il restât dans cette indignation. J'ay veu encore apres cette méme fiolle toute levée & préte à se répandre; j'en conceus les mémes sentimens qu'auparavant, & priay moy-méme le Juge d'avoir encore patience. Il n'en vouloit rien faire: mais je conjuray la sainte Vierge, saint Joseph, le Pere de Brebeuf, & l'Ange Tutelaire de ces contrées de retenir le bras de Nôtre Seigneur. Ils le firent,; mais pourtant il demeura la main levée, & tout prest à verser. Je souhaittois pour lors étre le but & le sujet de sa colere, & m'offrois pour étre la victime de sa divine Justice. Il semble que le Pere de Brebeuf souhaitte cela de moy; & depuis il a voulu que je m'y sois offerte, avec un aggrément de tous les évenements sortables à cette qualité de Victime de l'ire de Dieu. Le premier jour de l'année 1663. faisant mon Oraison, (dit-elle) je senty la presence de Nôtre Seigneur; mais comme un Juge en colere, & fort irrité; ce qui me remplit d'une extréme crainte. Je vis, ce me semble, tomber de ses mains une goutte d'une liqueur si penetrante que tombant sur terre assez proche de moy, il me sembla voir un bouleversement qui se faisoit dans la terre, & qu'il en resta de certaines crevasses par endroits: Mais le bruit & le tintamarre fut si grand, selon mon imagination, que je pensois tout étre renversé, & j'en conceus une telle crainte & horreur, que j'aurois de bon coeur souhaité, que cette méme terre que je voiois si émeë, se fût entr'ouverte au lieu où j'étois pour m'engloutir, afin que je n'eusse pas été obligée de rester en la presence de ce Juge si irrité: car sa presence m'accabloit de crainte. Neanmoins j'eus la pensée de le prier d'arréter sa colere seulement sur moy, & qu'il me punît toute seule, m'offrant à sa divine Justice pour cét effet. A méme temps je sentis mon coeur se calmer un peu, quoy que je visse une seconde goutte tomber sur moy, laquelle me mit comme sur une rouë, & dans de terribles épreuves de peines interieures, lesquelles m'ont duré longtemps; mais avec beaucoup d'acquiescement de ma part aux volontez de Dieu, m'étant impossible d'avoir seulement une pensée contraire. Le sixiéme du méme mois, je me trouvay si interdite dés le commencement de la Messe, qu'à peine pouvois-je ouvrir la bouche pour chanter au Credo. La veuë que j'avois euë au premier jour de l'an, de Nôtre Seigneur, comme d'un Juge en colere, se representa pour lors encore plus vivement à mon esprit, & y fit, ce me semble, une plus forte impression, dautant que je voiois que Nôtre Seigneur étoit prest de lancer les traits de sa fureur sur ce païs. Je m'imaginois qu'il tenoit dans sa main trois fleches déja panachées & prétes à tomber. Je souhaitois beaucoup que sa main fût retenuë, & pour cét effet, je m'adressois à la sainte Vierge & aux Saints, que je croyois avoir plus de pente à aider ce païs. Il me sembla sentire Nôtre Seigneur present en cette manïere: Ce qui me causa une grande crainte & respect envers ce Seigneur irrité; mais il me fut impossible de me presenter à luy pour porter sa colere. J'attendois méme avec un certain desir, qu'il lançat ses traits, me conjoüissant méme par avance avec luy, de ce qu'il vangeroit les torts qu'on luy faisoit. Cette veuë dura environ quatre mois, & elle voyoit sur qui particulierement ce foudre devoit tomber. |