CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
IV-10. Souffrances pour un pécheur
CHAPITRE X Monseigneur son Evéque luy ayant recommandé de prier Dieu pour une personne qu'il ne luy nommoit pas, elle s'y employa fidelement & fortement, Dieu luy faisant connoître & la personne, & l'état pitoyable de sa conscience, & la dureté de son coeur. Voicy comme elle en parle. Le jour de saint Magdeleine 1666, ayant commencé une neuvaine pour une personne laquelle m'avoit été recommandée par Monseigneur l'Evéque; j'y sentis beaucoup d'opposition de la part des démons qui étoient proche de moy. Le 23. environ à deux heures du matin, priant avec affection pour cette personne, j'apperçus proche de moy le feu Pere Paul le Jeune, lequel me la recommanda fort, & me témoigna que je luy rendrois un service fort agreable, si je me voulois offrir à Dieu pour cette personne. Je ne fis aucune réponse; mais je m'adressay au Pere de Brebeuf, pour luy demander qu'il me fist connoître ce que je devois faire: Je m'adressay aussi à la soeur Marie de Coutance, & la priay; & il me sembla que l'un & l'autre me laissoient libre de le faire, ou de ne le pas faire; me donnant à connoître que l'état où cette offre me mettroit, seroit un état tres-penible à la nature. Il sembloit aussi que cette personne leur étoit indifferente. Je ne pris aucune resolution; seulement je dis à Dieuq ue je suivrois sa volonté de tout mon coeur, lorsqu'elle me seroit manifestée par ceux qui me tiennent sa place. Depuis ce moment jusqu'à ce que j'eusse parlé à mon Confesseur, j'apprehensay beaucoup d'étre obligée de rentrer dans l'état precedent. Mon Confesseur m'ordonna de m'abandonner, par le moyen du Pere de Brebeuf, à tout ce qui seroit à la plus grande gloire de Dieu, pour le bien de la personne qui m'avoit été recommandée; ce que je ne fis qu'avec bien de la peine. Aussi-tôt que j'eus communié le Samedy 24. ayant encore la sainte Hostie dans la bouche, je sentis que l'on recommandoit à tous les démons, qui depuis quelque temps ne faisoient que m'accompagner au dehors, de rentrer; & dés ce moment ils commencerent d'operer en moy divers sentimens d'impiété, de haine contre Dieu; un endurcissement de coeur étrange, de gourmandise, avec un dégoût furieux de ma vocation, & tout cela continuoit sans relâche. Depuis ce temps-là j'ay été une fois transportée au lieu où est cette personne. Je la vis d'un visage fort défiguré. Le démon avoit envit de la faire écrasez par le tonnerre, qui pour lors étoit grand: J'apprehendois pour elle, quoy que j'eusse bien souhaitté que Dieu l'euût un peu brûlée, pour la faire rentrer en elle-méme. Il me sembloit que le Pere de Brebeuf luy donnoit de bonnes pensées, & des désirs de sortir de son état; mais je voyois son coeur qui s'endurcissoit, ayant une entier acquiescement aux divers mouvements que les démons luy faisoient ressentir. Le 16. Decembre je fus poussée par le Pere de Brebeuf à faire une neuvaine en l'honneur de la sainte Vierge, pour luy demander qu'elle éclairât par le merite des saintes dispositions qu'elle avoit euës, lors qu'elle portoit JESUS-CHRIST dans ses entrailles, le coeur & l'ame de la personne qui m'étoit recommandée particulierement depuis plusieurs mois: Le desir que j'avois de la totale conversion de cette ame, me fafisoit offrir pour elle, comme l'ont dit, corps & ame; rien ne me coûtoit pourveu que'elle fût telle que Dieu la desire. Je fis la neuvaine assez rigoureusement, ne m'épargnant non plus de mon côté, que mes hôtes ne m'épargnoient pas de leur part: car par l'ordre de Dieu ils faisoient bien leur devoir en ce point. Ce qui me penoit le plus pendant cette neuvaine, étoient les traits penetrans que son endurcissement faisoit rejaillir sur moy; ce que je ressentis si vivement, qu'avec verité je ne sçache pas avoir souffert des tourmens pareils à ceux-là. La veille de Noel je connus tres-clairement lui vouloit faire un trait de sa merveilleuse bonté: mais au lieu d'ouvrir son coeur non seulement n'étoit pas émeu ny touché de ces bonnes inspirations; mais méme qu'il les prevenoit, afin qu'elles ne peussent faire aucune impression sur luy. Tout me sembloit retomber sur moy; & j'éprouvois une pareille disposition, avec cette difference seulement, que cét endurcissement me causoit beaucoup de pine, nonobstant l'agréement qu'il me sembloit que les démons m'y faisoient donner, & pour ell je voyois qu'elle n'avoit que de la joye de cét état. Le premier jour de l'an 1667. toute la nuit je fus fort tourmentée à l'occasion de la méme personne; & pour éviter que l'effort de la tentation d'impureté ne me fist condescendre à quelque chose de contraire aux volontez de Dieu, je passay presque la nuit à prier Dieu ou à le vouloir faire. J'avois un panchant si horrible au peché, que vers les deux heures ne sçachant plus quel remede y apporter, je m'en allay dans un emportement d'esprit le plus grand u monde, faire la discipline avec une espece de cruauté. J'étois comme folle par la violence que je me faisois pour ne pas acquiescer aux volontez des démons. Apres avoir bien châtié mon corps, j'allay devant le saint Sacrement, où apres avoir été environ une heure dans de pareilles dispositions, que celles de la nuit, m'approchant de la petite créche ou étoit l'Enfant JESUS entre les bras de sa sainte Mere, & mon coeur ayant pour lors un peu de calme, je commençay à le décharger à ce divin Enfant, & luy representant ma peine, je le priay avec tendresse d'avoir compassion de ma misere. Il me sembla qu'il me demanda ce que je voulois, à quoy je repartis que je demandois mes étreines; mais que j'entendois pas cse étreines, demander l'entier changement de la personne pour qui je souffrois, sans vouloir diminution de souffrance. J'apperceus dans ses mains un papier écrit en trois sortes de caracteres, que je connus étre de l'Hebreu, du Grec, & du Latin; & ce papier contenoit tous les pechez de cette personne. Il me dit: Qui me satisfera donc pour tous ces crimes? Je disois en moy-méme: Ce sera vous, mon JESUS, par vôtre amour & vos merites infinis! Il répondit à ma pensée que cela ne suffisoit pas, parce qu'il faloit qu'on fist de son côté quelque chose. Je me sentois poussée à satisfaire pour tous ces pechez, & le Pere de Brebeuf m'y encourageoit; ce que je fsi d'une grande offection: J'eusse bien desiré que l'on m'eût donné le papier, afin de le brûler; mais on ne le voulut pas. L'enfant JESUS accepta l'ofre que luy faisois de souffrir; mais il dît que le papier ne pouvoit pas étre effacé, avant que la personne le voulût; de sorte que je ne le pûs obtenir, ce qui m'affigea fort. Je continuay de l'importuner; & comme j'étois poussée d'un grand zele pour le salut de cette ame, je me servois de tout ce que je pouvois m'imaginer opur le fléchir, sans que pour lors il me fût libre de faire autrement. Je restay jusqu'à quatre heures & demie à faire des instances; & pour lors je changeay tout d'un coup de batterie, ayant des sentimens opposez que mes hôtes me donnoient. Depuis ce temps je me suis sentie accablée sous un poids épouventable, & j'avouë que je ressens la rigueur de la justice divine d'une façon terrible, que tous les toumens imaginables me semblent tres-doux au prix de celuy-ci; & cependant on veut que j'aye un entier aggrément pour cét état. Les démons me tourmentent extrémement por me faire consentif à l'impureté, & je me suis trouvée souvent comme une personne qui expire dans une espece de rage pour la rage pour la grande violence que je souffre; parce qu'il ne faut rien accorder de ce que l'on demande de moy, quoy que souvent ce soit tres-peu de chose. Le second jour de Janvier, en disant Matines avec la Communauté, je fus si violemment tenté, que j'en étois quasi au desespoir. Apres les Matines, je me fâchay contre moy méme, & je promis à Nôtre Seigneur que si-tôt que je serois sortie du Choeur, je domterois ce miserable corps rebelle à la loy de l'esprit. Ma prétention étoit de me dépoüiller, de me jetter & de m'enfoüir dans la neige, & y demeurer si longtemps, que j'en fusse contente pour une bonne fois. Comme j'étois en devoir d'exécuter mon dessein, il me vint en pensée que ne devois pas faire cela sans congé: De sorte que jusqu'à ce que je l'eusse demandé, je me contentay de me mettre seulement dans la neige jusques à la ceinture, & d'y rester environ deux Miserere. Le reste de la nuit je fus un peu plus de repos qu'à l'ordinaire. Le lendemain mon Confesseur m'ordonna de commencer une neuvaine à l'honneur de l'Enfant JESUS pour la personne recommandée. Un peu avant la Fête du saint Sacrement, le Pere de Brebeuf m'avoit derechef fait connoître les resistances qu'apportoit cette personne aux inspirations du saint Esprit, & que malgré les mouvemens qu'elle avoit de sortr de son état, elle sembloit s'y vouloir davantage enfoncer. Depuis ce temps, il m'est arrivé deux ou trois fois que priant pour la méme ame, il m'étoit avis que la tres-sainte Vierge témoignoit desirer avec ardeur sa convesrion; mais elle me faisoi entendre qu'il faloit un peu de correspondance, laquelle venant à manquer, il n'y avoit pas moyen de rien faire pour elle. J'ay veu une fois cette mémem personne qui méprisoit indignement le Sang de JESUS-CHRIST; & l'endurcissement de son coeur me paroissoit tres-clairement. Il me sembloit que'lle étoit dans l'Eglise devant l'Image du Crucifix; que là ressentant que ce divin Sauveur luy dardoit quelques fléches pour la toucher, elle se roidissoit contre & détournoit sa pensée, autant qu'il luy étoit possible. Il me parut que de ce Crucifix il rejaillissoit du sang des playes qui alloit sur elle; mais elle me paroissoit impenetrable. Cela me toucha si fort, que pleurant fort amerement je counurois de toute mon ame la bonté & miséricorde de Nôtre Seigneur, d'amolir un peu ce coeur. J'apperceus qlaors quelques gouttes qui le penetroient un peu; ce qui luy donna un desir de sortir de son état, & la fit resoudre sur l'heure à se faire violence: Mais peu apres s'étant laissée aller aux tentations du démon, elle me parut dans un état encore pire qu'auparavant. On me fait toûjours continuer à m'offir pour elle. |