CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
IV-13. L'intérieur des consciences
CHAPITRE XIII
Le premier Août 1662. à 12. heures un quart apres minuit, un vent impetueux s'éleva dans nôtre chambre du côté de la fenêtre & de la porte (dit-elle dans son Journal). Je regarday pour voir ce que c'étoit, l'obscurité étant grande je ne pû rien apercevoir; mais seulement j'entendois un bruit confus de voix & de démarches de personnes. On fit un tintamarre comme si on eût remué des chaises, ou autre chose; j'eus frayeur & je sentis comme un grand trouble se lever dans mon esprit, j'étois toute interdite; & quoy que la pensée me vint de prendre de l'eau benite & avoir recours à Dieu, je demeurois sans rien faire, comme si j'eusse été hebetée: le bruit s'étant augmenté, ma peur redoubla, & il parut une lueur qui me fit voir dans l'obscurité. Je fis effort de prendre de l'eau benite, & ayant essayé deux fois, sans le pouvoir faire, mon bras se roidissant & devenant pesant comme du plomb; la troisiéme fois j'en pris & m'en lavay les yeux, afin que par la vertu de cette eau, l'illusion disparût. Je ressenti un si cuisante douleur à mes yeux, que je croiois les avoir brûlez; & autant de fois que je rïterois à y mettre de l'eau benite, la douleur continuoit comme si on m'eût appliqué du feu. Une heure & demie se passa, tant à entendre le bruit qui se faisoit, qu'à voir, quoy qu'assez obscurement. Je vis comme une espece d'homme habillé en Roy, assis dans un trône porté en l0air; dessous, aux côtez & à l'entour, paroissoient quantité de personnes qui composoient sa Cours; tout y étoit obscur, & je n'eusse pû distinguer comment ils étoient habillez, ny quelle posture ils tenoient. Continuellement il en arrivoit de nouveau qui rendoient compte au Roy de leurs conquêtes; l'un se vantoit d'avoir excité la dissension entre plusieurs,& il y en avoit un bon nombre de ceux-là: d'autres disoient avoir reussi à déchirer la reputation du prochain; il y en avoit encore beaucoup de ceux-là; d'autres à exciter la haine, la colere, l'impieté, l'impureté; chacun se vantoit selon le mal qu'il avoit fait faire: il y en avoit qui ne disoient rien à leur arrivée, & ils se cachoient comme se voulant abîmer sous le trône, de honte & de rage de n'avoir pas bien reussi dans leurs entreprises. On se loüoit du facile accez qu'on avoit à la basse ville, & de l'obligation qu'ils avoient à un certain homme. Un autre disoit avoir donné de l'exercice à la côte de Beaupré. Un autre venoit des Trois-Rivieres, & y trouvoit du gain. Un autre de Mont-Real, & disoit: je les feray manger l'un l'autre. Tout cela se disoit d'une façon qui donnoit de l'effroy. J'avois cependant belle peur que cette compagnie n'approchoît de moy; & comme j'étois dans l'apprehension, j'oüis un ordre donné à sept. Comme le chemin n'étoit pas loin, ils ne tardent guere à venir; ils me firent bien ressentir qui ils étoient, & de quelle part ils venoient. Il est juste que Dieu m'abandonne à leur rage, puisque je ne suis pas fidele à Dieu. Une autre fois à une heure & demie apres minuit, un démon qui se disoit de l'ordre des Seraphins avec deux autres, vinrent & me dirent que je regardasse. Comme je méprisay leur semonce, apres qu'ils eurent recommencé de m'inviter de voir, ils me contraignirent de regarder, je vis passer cinq brancards; dans chacun il me paroissoit deux hommes couchez; ces brancards étoient portez par quatre démons aîlez comme des Chauve-souris: On me demanda : « Hé bien! as tu veu ce qui a passé ? » & incontinent ils dirent, « Elle a regardé, il faut qu'elle voye mieux » : Ils firent pour une seconde fois paroître les mémes choses; & chaque brancard arrétoit un peu de temps devant moy. Dans le premier, ceux qui étoient avoient les mains garottés de chaînes & de cordes, & ne pouvoient en aucune façon les remuer: les seconds avoient les oreilles bouchées par des queuës de serpent: les troisiémes, les yeux & le visage couverts comme d'une pierre: les quatriémes avoient en l'endroit du coeur quantité de pointes & de bouts de queuës de serpent qui les piquoient et envenimoient, & leur grand mal étoit encore plus interieur qu'exterieur: les cinquiémes étoient tenus par les pieds & les jambes, & ne pouvoient les remuer; il y avoit une petite corde qui se rendoit au bras droit. On me dit que plusieurs de ce païs étoient atteints de ces maladies. Le jour suivant on me dit qu'un tel en avoit quatre, le visage caché, les oreilles bouchées, les pieds liez par la corde qui se rendroit au bras droit, il ne s'en aidoit pas bien; & le coeur percé. Ce fut le 13. Septembre 1662. Le 8. Mars 1663. elle vit autour d'un certain, deux démons, dont l'un sembloit luy évanter la tête avec des plumes; l'autre le tenoit à travers du corps comme embrassé, & d'une de ses griffes luy serroit l'endroit du coeur. On luy fit entendre que ces deux démons étoient la vanité & l'impureté, lesquels avoient facile accez & libre entrée dans l'esprit de cette personne. On l'obligea de la recommander à Dieu fortement, sur-tout de demander pour elle, qu'elle fist une bonne Confession. Le jour de la Pentecôte une telle année, étant au Choeur à dire mon Chapelet, le Pere de Brebeuf me fit regarder (dit-elle dans son Journal) du côté de l'autel de la sainte Vierge; & il me sembla que je vis Nôtre Dame, non pas des yeux du corps; mais d'une veuë intellectuelle. Elle me parut triste & comme ayant peine pour quelqu'un. Comme j'étois dans cette pensée qu'est-ce que c'étoit qu'elle pouvoit avoir; elle me dit voir un tel, sous la forme & figure d'un Cedre, qui s'élevoit fort haut: mais aux pieds il y avaoit trois ou quatre femmes, qui avec des coignées frappoient pour l'abattre; & il me sembloit qu'il penchoit un peu; ce qui me fit apprehender pour luy qu'il ne quittât sa vocation. La sainte Vierge se plaignoit de son ingratitude, & du peu de profit qu'il faisoit des graces qu'elle luy avoit départies. Au reste elle l'avoit en horreur, à cause de son élevation; quoy qu'il me semblât qu'elle fût préte à l'aider pourveu qu'il le voulût; elle me porta à prier pour luy, ce que j'ay fait depuis avec affection. Je conceus que cette élevation d'esprit dans laquelle il se nourrissoit, seroit capable de luy faire abandonner le service de Nôtre Seigneur & ses saintes resolutions. C'est ce qui arriva quelque temps apres. Ses veuës passoient jusques en France; Nôtre Seigneur & sa sainte Mere luy faisans connoître l'état de quelques ames qui luy devoient étre recommandables. Ce qui suit est dans son Journal. Le 5. Août 1666. comme je recommandois à Nôtre Seigneur un tel, elle me dit qu'elle s'en souviendroit. Elle me donnoit à connoître qu'il étoit dans un extréme besoin du secours du Ciel. Je conçeus qu'il étoit en état de peché mortel. C'est pourquoy je luy demanday instamment qu'elle s'interessât pour son salut; elle me le promit: Nôtre colloque mutuel n'étoit point par paroles articulées; mais cela se passoit intellectuellement, & la chose me sembloit avec plus de certitude, que si j'eusse veu des yeux du corps, & que j'eusse proferé des paroles & entendu les réponses. Je promis à la sainte Vierge huit Messes & huit Communions, les huits premiers Samedis, pour action de graces de ce qu'elle avoit eu la bonté de m'accorder. Notez que quoy qu'elle vît quantité de ces choses connuës à Dieu seul; toutefois elle usoit si prudemment de telles connoissances, qu'elle en gardoit un secret inviolable, sinon à ceux ausquels elle ne devoit tenir rien de caché; leur donnant avis des desordres, afin qu'ils y missent ordre; méme des confessiosn sacrileges que d'aucuns leur faisoient, afin qu'ils s'en servissent pour leur salut; comme effectivemetn il arrivoit. Cela sans doute par les prieres de cette fille charitable, à laquelle ces ames étoient recommandées, le Ciel voulant leur faire misericorde par ce moyen.
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