CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
V-1. Informations d'Europe
CHAPITRE PREMIER es navires qui vont de France en Canada ne partent qu'au Printemps, au mois d'Avril, May & Juin; & les mémes Vaisseaux retournent de Quebec en France dans l'Automne, aux mois d'Octobre, Novembre & Decembre. Or souvent il est arrivé que nôtre Catherine de saint Augustin a apparis la mort de quelques personnes qui étoient décédées en France, avant l'arrivée des Navires qui pouvoient en porter les premieres nouvelles; quelquefois Dieu luy revelant leur mort; d'autrefois les Ames des deffunts luy apparoissant pour se recommander à ses prieres, ou pour conjoüir avec elle de leur bonheur éternel; & quelquefois Dieu la transportoit dans le Purgatoire, pouy luy faire voir l'état de ces Ames souffrantes. Sive in corpore, sive extra corpus, nescio, Deus scit. Voicy ce qu'elle méme en a écrit dans son Journal sur la fin de l'année 1663. En diverses occasions, dit-elle, le Pere de Brebeuf m'a souvent fait connoître l'état de quelques personnes, & m'a obligé d'en prendre un soin particulier; il m'a introduit dans le Purgatoire, & m'y a fait connoître les tourmens de quelques Ames, auxquelles la meilleure partie des prieres que l'on faisoit pour elles, n'étoient pas appliquées. Monsieur Michel Rocher de Bernegs Grand Vicaire, Theologal & Penitencier de Bayeux, Superieur de la Maison des Religieuses Hospitalieres de la méme Ville où nôtre Catherine avoit été Novice, & dont elle étoit Professe, mourut le 9. Novembre 1664. en reputation de sainteté. Ce grand Homme de bien apparut bien-tôt apres sa mort à cette Servante de Dieu. Il luy donna asseurance qu'il étoit dans le Ciel parmy les Bienheureux, & il l'encouragea de continuer d'étre fidelle à Dieu, qui auroit pour elle des bontez éternelles. Elle fut puissamment consolée & fortifiée de cette visite, & elle en donna avis dés-lors à son Directeur; bien que l'on ne peût recevoir la nouvelle de cette mort par les Navires de France, qu'au mois de Juin de l'année suivante 1655, c'est à dire, pres de huit mois apres l'apparition qui luy en avoit été faite. En répondant aux Lettres de la Reverence Mere Fondatrice de l'Hôpital de Bayeux luy en avoit écrit, elle la consola, en l'asseurant que cét Homme de Dieu travailloit dans le Ciel pour leur chere Communauté de Bayeux. Il continuera de vous amier, dit-elle, & sera plus à vous qu'il n'a jamais été. Mais il n'est pas temps d'en dire davantage; sinon que le Reverand Pere de Brebeuf, Martyr du Canada, & luy, ont une grande liaison pour proteger & assister nôtre chere Communauté de Bayeux. La Reverande Mere Renée Avice de l'Incarnation Religieuse Hospitaliere de Bayeux, mourut le 22. septembre 1654. C'étoit la grand'mere de nôtre Catherine, qui étant devant le saint Sacrement où elle offroit à Dieu de dire trois fois l' Ave maris stella, en action de graces pour une sienne amie deffunte qui luy étoit apparuë, & qui luy avoit donné avis de sa grand'mere qui luy dit: Pourquoy n'en offrez vous pas autant pour moy? J'ay la vonlonté et le pouvoir d'aider vos amis. Cette mort luy ayant été ainsi connuë, huit ou neuf mois mois avant que les nouvelles en fussent venuës de France, cette revelation se trouva veritable: Mais l'enfer ayant voulu traverser la joye que nôtre Catherine avoit receuë du bonheur éternel de sa grand'mere, les démons luy apparuren, & luy voulurent persuader qu'elle étoit damnée, & qu'ele n'avoit que faire de prier pour elle, ny de se recommander à elle, comme si elle étoit au Ciel. Ce trouble toutefois que les diables vouloient luy causer, fut bien-tôt dissipé. Voicy comme elle en parle dans son Journal. Le lendemain, je sentis proche de moy ma grand'mere, qui m'asseuroit de son bonheur, & qui m'en convainquit à tel point, que je n'en pûs aucunement douter. Elle me fit entendre civerses choses, pour m'obliger à n'avoir point d'autres volontez que celle de Dieu; & sa presence m'est restée trois jours. Cette mort étant arrivée au mois de Septembre, on ne pouvoit pas en apprendre aucunes nouvelles en Canada, par les voyez ordinaires, sinon au moins de May, ou méme dans le mois de Juin de l'année suivante. La Reverende Mere Catherine Avice de saint Joseph, pareillement Religieuse Hospitaliere de Bayeux, grande-tante de nôtre heureuse fille, mourut le 24. Février 1666. & fut délivrée cinq jours apres sa mort des peines du Purgatoire, par les prieres & le redoublement des souffrances de sa chere niepce. Voicy ce qu'elle en écrivit à la Reverende Mere de saint Augustin, Fondatrice & Superieure de leur Monasterer de Bayeux, fille de cette heureuse Mere de saint Joseph; qui s'étoit faite Religieuse, & qui avoit vêcu plusieurs années sous la conduite de sa propre fille, avec une obeïssance, une humilité, une simplicité, une devotion, une charité, & une regularité si rares, que toute cette sainte Communauté des Hospitalieres de Bayeux en ayant été édifiée durant sa vie, ne le fut pas moins à sa mort, étant morte de la mort precieuse des Saints. Voicy donc ce qu'elle en écrit. Ma Révérende Mere La paix de JESUS-CHRIST & l'amour de sa Crois. Le partage que vous en avez eu a été abondant cette année; h'ay ressenty vôtre affliction aussi fortement que je le devois faire. Il est temps maintenant, ma chere Mere & cousine! de mettre fin à vos plaintes; il faut que si vous versez encore des larmes, qu'elles soeint toutes de joye, & non plus de tristesse; Car quelle apparence de plaindre nôtre perte, pusiqu'elle nous rend participans d'un si grand bien, & fait que vous avez une Mere, & moy une tante, au Ciel. Je n'en doute point, j'en suis asseurée, que nòtre chere deffuncte y est; & j'ay tout sujet d'esperer & de croire que je ne suis pas trompée sur ce point. Il y a long-temps que j'en ay remercié Dieu pour elle; & elle méme à bien daigné me faire éprouver son pouvoir auprés de nôtre Seigneur. Je fais profession de ne vous rien celer. La veille de sa mort je fut fortement poussée de demander la sainte Communion. J'avois quelque besoin paritulier pour lors, qui me pressoit fort; on me la permit. Comme on commençoit la sainte Messe, je sentis la presence du Pere de Brebeuf, & de feuë ma mere de l'Incarnation, qui me dirent tous deux que j'offrisse cette Communion, celle du jour suivant, du Samedy & du Dimanche, pour ma tante de saint Joseph, parce qu'elle en avoit grand besoin; on ne me dit point qu'elle fût malade, seulement qu'elle avoit besoin qu'on priât pour elle. Ayant donc dirigé mon intention à ceux qui me faisoient ressentir leur presnce, non en les regardant proche de moy; mais en les considerant au Ciel; Je les priay de disposer, non seulement de ces quatre Communions, en faveur de ma chere tante; amsi aussi de tout ce que je souffrirois, pour autant de temps qu'elle en auroit besoin. Je la recommanday aussi aux prieres de mes amis, & je creus qu'asseurément elle seroit morte. Je fut fort en peine pour elle jsuqu'au Dimanche au soir, que tout d'un coup de ressentis une grande tranquillité, une joye toute particuliere de penser à elle. Je passay la nuit dan des actions de graces, que je rendis à Nôtre Seigneur, à la sainte Vierge, & à son digne époux; pour celels qu'ils avoient départies à cette ame. Depuis ce temps-là toutes les fois que j'ay pensé à elle, j'ay toûjours éprouvé que mon esprit s'élevoit en Dieu aussi-tôt, & qu'il s'établissoit dans un certain calme qui n'est piont ordinaire: Pendant les cinq jours qui se passerent depuis cely de sa mort jusques au Dimanche, on me redoubla mes souffrances à tel point, que je ne sçavois quasi plus où j'étois. Ensuite tout d'un coup je rentray dans le calme, avec l'interêt de la peine passée: Ce n'est pas que le calme ait toûjours duré; car la conduite de Dieu sur moy ne m'en laissa joüir que fort peu de temps. Il a la bonté de m'appliquer à aider des ames qui ont besoin de secours; soit celles du Purgatoire pour lesquelles j'ay grande affection; soit celles des pecheurs qui me donnent une compassion tres-sensible. Je me suis offert à la divine Majesté pour luy servir de victime toutes les fois qu'il luy plaira; je n'envisage ny ma vie, ny mes interêts; je veux que Dieu en dispose selon sa tres-saintes volonté. Certes c'est bien de l'honneur pour moy qu'il daigne me faire pssesr par le feu, commeune cictime consommée par sa divine Justice. J'ay prié le Reverend Pere Gagueneau de vous informer amplement de toutes mes pauvretez & miseres. Je veux bien, je vous asseure, que vous sçachiez tout. Ne soyez point fâchée, si je ne le fais pas moy-méme; La raison est que je ne me souviens plus de la plus-part des choses qui se passent en moy, quand je les ay dites ou écrites à mon Directeur; je ne m'en reserve aucun écrit, je les donne à mesure au Reverend Pere Châtelain, lequel m'a dit qu'il feroit tout sçavoir au Reverend Pere Ragueneau, & que je n'y songeasse plus. Ce qui m'est tres-facile par la grace de Nôtre Seigneur. Ma Reverende Mere
Vôtre tres-humble & tres-obeïssante fille Marie La méme année le 15. Juin elle eût une autre apparition qu'elle mit en écrit en ces termes. À une heure apres minuit, j'entdis entre dans nôtre chambre comme une personne que je ne connoissois pas; ce qui me causa d'abord bien de la frayeur; mais elle se passa promptement, & pour lors je sentis que cette personne s'approchoit de moy, & j'entendis une voix qui me disois que je n'eusse pas peur, & que c'étoit Charlotte de la Vigne Abbesse de protection, decedée dés le 18. jour de Février; mais que trois choses la retenoient en Purgatoire; premierement, le trops d'attache qu'elle avoit eu à conserver son autorité; secondement, le trop d'indulgence qu'elle avoit eu pour elle dans ses maladies, bien qu'elle ne le fist que pour contenter quelques-unes de ses Soeurs qui l'en prioient; & enfin les amitiez particulieres qu'elle avoit témoignées à quelques-unes. Elle ajoûta qu'elle me prioit de me souvenir d'elle, & que ses Soeurs s'arrétoient plus à la regretter & la pleurer, qu'à la délivrer des peines qu'elle souffroit. Il me semble que Nôtre-Dame me commanda de luy donner toutes mes devotions de ce jour, & depuis ce temps-là on m'en a fait faire plusieurs fois autant pour elle. Depuis la presente revelation qu'elle declara le jour méme à son Confesseur, les Navires de France étant venus, elle receut une Lettre d'une de ses tantes, qui étoit Prieure en cette Abbaye de Protection, qui confirma la nouvelle de la mort de cette Abbesse, arrivée au 18. Février. |