CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
V-2. Deux délivrances
CHAPITRE II Voicy ce qu'elle en a écrit elle-méme. Le 15. Juin 1663. environ une heure apres minuit, j'entendis marcher proche de mon lit; & une voix qui se plaignoit, & qui marquoit qu'elle souffroit une grande douleur. J'eus un peu de frayeur du commencement; mais ayant élevé mon esprit à Dieu, & demandé son assistance, je me sentis toute fortifiée, & entierement exemplte de peur. Cette voix redoubloit ses plaintes, & je sentois comme l'approche du feu, sans que je pusse voir ou distinguer rien en particulier. Cette voix en continuant ses plaintes, me pria avec beaucoup d'instance de soulager une douleur extréme qui luy restoit au dos: Je conceus que c'étoit une ame du Purgatoire; mais il me vint un doute sur ces paroles, si le diable ne la contrefoisoit point: De sorte que je commençay à penser en moy-méme, que les ames ne pouvoient pas se plaindre d'un mal qui fût dans le corps, puisqu'elles n'en avoient pas: Mais les plaintes redoublerent, & on me conjura plus fortement qu'auparavant, de soulager cette douleur. Alors sans hesiter davantage, je dis: « mon Dieu, s'il est vray que ce soit là une ame du Purgatoire: Voicy mon corps, si vous le jugez capable de pouvoir porter une partie de la peine de cette ame, je vous l'abandonne de tout mon coeur, pour tout ce qu'il vous plaira »: au méme moment je me sentis frappée comme d'un tison au milieu du dos; & la douleur fut si aiguë, & se répandit si promptement, que je pensois étre couchée sur un brasier. La douleur me dura fortement deux jours; depuis elle se diminua notablement. A la Messe on m'obligea de me jiondre, non pas à l'intention qu'avoit le Prétre qui disoit la Messe pour un autre deffunt de ma connoissance, mais à l'application que faisoit Nôtre Seigneur de cette Messe, au profit de la personne qui s'étoit recommandée à moy la méme nuit. On me fit entendre que c'étoit Monsieur le Sénéchal Jean de Lauson, lequel avoit voulu, & n'avoit pas pû ordonner que l'on priât pour luy apres sa mort, ayant été tué dans un combat contre les Iroquois; mais que l'auter pour qui l'on avoit intention de dire la Messe, avoit pû, & n'avoit pas voulur ordonner que l'on priât pour luy; & je conceus que cette raison luy avoit prolongé son Purgatoire. L'impression que j'avois de prier pour Monsieur le Sénéchal, m'étoit donnée pour lors de la prt de son Ange-Gardien & du mien. Depuis ce temps-là, j'ay eu toûjours la pensée, malgré l'opposition des démons d'offrir pour sa délivrance, & mes prieres & tout ce que Nôtre Seigneur a permis que j'aye souffert. Le dix-huitiéme du méme mois, le Prétre disant une Messe de la sainte Trinité, le Pere de Brebeuf me fit offrir cette Messe pour le méme Monsieur le Sénéchal; m'ordonnant de faire au commencementune amande honorable pour le deffunt, à la tres-sainte Trinité; ayant un grand desir de reparer & de suppléer à tout ce qu'il avoit fait de mal & obmis de bien. On me fit aussi à proposition faire la méme chose à la sainte Vierge & à son Ange, & à ses saints Patrons, saint Jean Baptiste, & saint l'Evangeliste. Je conscevois que plus la Messe s'avançoit, plus cette ame recevoit de soulagement de ses peines, & plus elle avoit d'ardeur & de passion de joüir de la veuë de Dieu; & cela me donnoit tout ensemble de la compassion pour elle, & un desir tres-grand de l'aider; Neanmoins comme les démons n'aggréoient pas cette charité, ils me faisoient fort souvent retracter mes bonnes volontez sur ce sujet, & me forçoient d'en rejetter la pensée: mais malgré leur impression & comme malgré moy méme, je ne laissois pas de suivre la volonté du Pere de Brebeuf, qui m'ordonnoit d'interceder pour cette ame. Le 19. jour du méme mois, la méme personne me fut recommandée tout de nouveau; & comme j'étois en fort mauvaise humeur; je dis au Pere de Brebeuf qu'il fist luy méme ce qu'il voudroit, & que je n'y penserois pas du tout; mais il n'accepta point ce refus. Et comme je me sentois pressée de luy obeïr, il me vint en pensée d'où pouvoit venir qu'il prenoit tant d'interest pour cette ame. Le Pere me fit entendre que c'étoit parce qu'en mourant i lavoit eu recours à luy, & luy avoit demandé son assistance; & qu'en consideration de cela, il le vouloit aider à sortir du Purgatoire. Sans penser quel jour il étoit, je priay le Pere d'appliquer ma communion de ce jour-là, pour cette ame, & tout ce qu'il voudroit, jusques à son entiere delivrance: Mais apres faisont reflexion qu'il n'étoit pas jour de communion, je priay Nôtre Seigneur d'aggréer cette bonne volonté. A méme temps nôtre Reverende Mere Superieure, qui étoit au Choeur où j'étois aussi, me vint offrir la communion pour ce jour-là. Le Pere de Brebeuf me donna à entendre qu'il me l'avoit procurée pour le deffunt. Enfin apres la Messe, les démons me voulurent détourner de continuer mes prieres, disant que le deffunt n'en avoit que faire, & que je m'arrétois à des imaginations. Enfin le 20. le Pere de Brebeuf m'avertit un peu avant la Messe, que je demandasse avec confiance l'entiere délivrance de cette ame; m'adressant au glorieux saint Joseph. Je l'ay fait, non seulement ayant esperance qu'il me l'accorderoit; mais méme j'en ressentois comme une asseurance infaillible. Il me sembal que cette ame avoit été tirée par saint Joseph & le Pere de Brebeuf, & amenée dans nôtre Eglise, où elle fut pendant la sainte Messe. Elle ne souffroit pour lors d'aucune douleur; mais seulement elle étoit là retenuë, pour rendre à la divine Majesté les adorations, les respects, & les amours qui luy sont deus, & comme pour suppléer à toutes les distractions, irreverences & indevotions que pendant sa vie elle avoit euës assistant au saint Sacrifice de la Messe. Elle entreméloit souvent, & repetoit le desir ardent qu'elle avoit de voir Dieu, & d'étre unie à luy. elle y fut jusques apres les Litanies de Nôtre-Dame, que l'on dit à la fin de la Messe. Et lorsque le Prétre disoit l'Oraison de saint Joseph, ce grand Saint avec le Pere de Brebeuf, l'enleverent & l'emmenerent avec eux: Cela se passa d'une maniere qui ne tombe pas dans les sens du corps; mais il me semble que j'en ay une certitude tres-grande; & de la douleur que j'avois à l'occasion de cette ame, me quitta entirement. Le méme jour le Pere de Brebeuf me fit connoître que je devois demander à la sainte Vierge la délivrance d'une ame du Purgatoire. Je n'eus pour lors aucune connoissance qui elle étoit; mais seulement que c'étoit un homme marié qui étoit fort redevable à la Justice de Dieu. Le 21. du méme mois, qui étoit le jour de la Fête du bienheureux Loüis de Gonzague, avant la sainte Messe comme j'étois au Choeur, & que me disposais à la communion; le Pere de Brebeuf me commanda de l'offrir, & le saint Sacrifice de la Messe; à l'intention qu'avoit le Prétre qui la celebroit: On ne me dit pour lors qui elleétoit; mais vers l'Offertoire je sentis une impression forte de la presence du Pere de Brebeuf, & du bienheureux Louis de Gonzague, & il me sembloit que les bienheureux Loüis offroit le Prétre qui celebroit au Pere de Brebeuf: le Pere d'abord me sembla un peu differer de répondre au bienheureux Loüis; & je me sentis pressé de prier le Pere d'accepter celuy qui luy étoit ainsi offert; luy disant qu'il auroit bien plus d'avantage de l'avoir pour sien, qu'une pauvre miserable comme moy. Le bienheureux Loüis redoubalnt son offrande, le Pere de Brebeuf l'accepta, avec promesse de le regarder d'oresnavant comme une chose qui luy appartenoit, & de l'aider dans ses besoins. Il me paroisssoit aggréer beaucoup ce choix, que le Prétre qui celebroit, avoit fait de l uy, pour son Protecteur. Le bienheureux Loüis offroit aussi au Pere de Brebeuf une petite fille âgée de 7. ans, que le Prétre qui celebroit, avoit presentée au bienheureux Loüis; afin qu'il prist soin de son ame. Le Pere de Brebeuf l'accepta; toutefois il a remit au bienheureux Loüis, qui la prit comme à luy, & s'engagea d'en avoir soin. Le Pere de Brebeuf m'avertit que j'étois d'oresnavant plus obligée qu'auparavant, de m'interesser au bien de cét enfant. De plus il me fit entendre que pour marque de l'agréement qu'il avoit du Prétre qui celebroit, il contribueroit à la délivrance de l'ame qui m'avoit été recommandée le jour d'auparavant, & qui le touchoit de prés. Le 22. je conceus que cette ame qui m'avoit été recommandée, c'étoit celle de feu Monsieur Loüis de Lauzon de la Citiere: on m'avoit ordonné que je procurasse pour sa délivrance trois Messes, & une communion generale; le tout offert à la sainte Vierge, pour étre appliqué par elle au profit de cette ame; les Messes furent dites, mais la communion generale fut oubliée, à laquelle neanmoins on me fit suppléer en diverses manieres. Le 30. à deux heures apres midy le Pere de Brebeuf me témoigna que la sainte Vierge étoit contente pour cette ame & qu'elle étoit délivrée; mais qu'elle vouloit que j'employasse mes prieres pour une autre qui avoit peu de chose à payer. |