Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

V-8. Attirer les bénédictions

CHAPITRE VIII
Elle tient secretes les voyes de Dieu sur elle, & ne les declare qu'à ceux qui les doivent sçavoir.

Ceux qui sont dans les ovyes de Dieu extraordinaires, que le commun des hommes estime, & qui ont plus d'éclat; comme sont les visions, les révélations, les apparitions des Saints du Paradis, & autres graces semblables; ont souvent de la pente à les communiquer, & à s'en conjoüir avec les amis, & avec ceux qui ont la reputation d'étre Spirituels. Ceux au contraire que Dieu conduit par des voyes tres-humiliantes des tentations, qui semblent étre tout abysmez dans la peché, ont de la apeine à s'en découvrir, méme a ceux auxquels tout le coeur doit étre connu. De méme que dans la monde, ceux qui se conduisent par l'esprit du monde, font aisément paroître leurs richesses, leur credit & tout ce qui leur est avantageux: & cachent le plus qu'ils peuvent leur pauvreté, qui leur est avantageux: & cachent le plus qu'ils peuvent leur pauvreté, leur impuisssance, & tout ce qui leur est humiliant. Aisement nous communiquons nos joyes à nos amis, pour nous en réjouyr avec eux; & nos tristesses aussi, afin qu'ils nous consolent.

C'est vn double écueil assez dangereux dans la vie spirituelle, la trop grande communication des choses éclatantes étant sujette à la vanité, qui dissipe toutes les vertus, comme les meilleurs parfums s'évaporent & se perdent, s'ils ne sont soigneusement renfermez & cachez: Et d'autre part n'y ayant rien de plus sujet aux illusions & à se perdre dans les voyes extraordinaires, si on n'a un bon guide pour y étre conduit; Dieu ayant voulu que les hommes soient conduits par les hommes: & c'est ainsi que JESUS-CHRIST renvoya saint Paul au temps de sa Conversion à Ananias, pour y étre enseigné, ne voulant pas l'enseigner immediatement par soy-méme.

Nôtre Catherine de saint Augustin a évité heureusement l'un & l'autre écueil, n'ayant jamais donné cette satisfaction à son amour propre, de declarer ses joyes & ses richesses spirituelles, à ceux ausquels elle n'estoit pas obligée de le faire; ny ses tristesses & ses afflictions. Mais elle s'ouvroit avec tant de candeur & d'humilité à ceux qui la devoient conduire, que l'on peut dire qu'à leur égard, elle portoit son coeur dans ses mains, afin qu'il leur fût entierement connu; ayant pour eux une obeyssance saintement aveugle, qui la portoit à suivre en tout leur conduite, & à ne se défier que de ses propres desseins.

Monseigneur son Evesque, son premier Superieur, ayant jugé à propos qu'elle ne declarast les voyes extraordinaires que Dieu tenoit sur elle, qu'à son Directeur & à son Confesseur; elle s'y est toûjours comportée si prudemment, que c'est une chose étonnante, comment dans sa Communauté jamais rien n'a paru de toutes les graces dont le Ciel la combloit, quoy que souvent elle fût infestée des demons, & quelquefois avec un bruit qui étoit entendu, quoy qu'ils luy causassent des maladies, où les Medecins ne pouvoient rien connoître: & que souvent ils la traitassent si rudement, qu'elle en avoit le corps tout meurtry de coups, & que quelques fois méme il luy en restast des marques au visage & aux mains. Mais lors qu'elle en étoit interrogée, qu'elle satisfaisoit également à tout le monde, sans contrevenir au secret que son Superieur luy avoit recommandé tres-prudemment, de garderr sur ce sujet. En effet, si les Religieuses ses Soeurs eussent sçu tout ce qui se passoit en elle d'admirable, tant d'intimes communications de son ame avec Dieu, tant de revelations & de faveurs du Ciel, si éclatantes & si divines: Si elles eussent sceu cette obsession étrange par un si grand nombre de demons, cela sans doute auroit pû nuire à son humilité; Un thresor est bien-tôt dêrobé, lors qu'il est trop exposé; & d'autre part, ces pauvres Filles auroient eu des frayeurs terribles, & le trouble auroit été bien-tôt dans leur coeur, & dans leur maison, où la paix doit étre toûjours inébranlable.

Quelques-unes de ses plus intimes aimes se doutant bien que Dieu luy dispensoit des faveurs tout extraordinaires, & qu'elle souffroit des peines inseparables de la plus haute sainteté, ont souvent fait tout leur possible afin d'obtenir d'elle, de leur communiquer quelque chose de ce qu'elle tenoit si fedelement caché dans son coeur; amsi jamais aucune n'en a pû tirer un seul mot qui trahît son secret: Sur quoy il est à remarquer, que ce n'étoient ny ses inclinations, ny ses aversions naturelles qui regloient sa conduite; mais c'étoit uniquement son devoir. Une certaine année qu'il y avoit eu changement de Superieure, la Reverende Mere Fondatrice & Superieure des Hospitalieres de Bayeux, ayant eu quelque sujet de croire que nôtre Catherine eu auroit quelque peine, luy écrivit confidemment à son ordinaire; car leurs coeurs étoient parfaitement unis. Voicy la réponse que luy fit nôtre Catherine.

Ne prenez pas, ma tres-chere Mere, que le changement de Superieure me fasse de la peine: Graces à Nôtre Seigneur, je n'ay encore regardé que Dieu en mes Superieures, & point du tout la creature: C'est pourquoy je suis toûjours contente; encore que dans l'apparence il n'y eût pas dû avoir de changement. Je vous puis dire avec verité, que je suis tres-contente de la part de celles dont vous m'écrivez: s'il y a quelque petite chose à souffrir, elle m'est tres-aimable, & j'aurois grand tort de me plaindre: si j'étois venuë en Canada pour y chercher & trouver ma satisfaction dans la creature, j'avouë que j'aurois été trompée; mais comme mon but n'a pas été tel, graces à Dieu, je trouve toûjours mon compte, quelque chose qui m'arrive; & je suis asseurée que celles qui y viendront dans la veuë de Dieu seul, auront tout sujet d'y étre contentes. N'ayez donc aucune peine à mon occasion; je vous proteste en la presence de Nôtre Seigneur, que mon esprit est aussi en paix, & mon coeur aussi content que si j'étois dans l'abondance de toutes les satisfactions raisonnables d'une Religieuse; pourveu que Dieu accomplisse sa volonté en moy, & qu'il continuë de la faire à toute éternité. Continuez moy, s'il vous plaît, vos saintes prieres: elles m'obtiennent la continuation de la misericorde de Dieu, qui sans cesse m'en fait ressentir les effets.