CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
V-9. La conduite de Dieu sur elle
CHAPITRE IX Quoy que les conduites de Dieu sur elle fussent également rigoureuses et terribles, & qu'il parût par les effets qu'elle ressentoit, que Dieu en faisoit une victime de sa Justice: Toutefois elle n'a jamais voulu sortir de cét état crucifiant, lors méme que le choix luy en a été donné de la part de Dieu; & qu'il n'a tenu qu'à elle d'en sortir. Elle adoroit les desseins des Dieu, & les aimoit tendrement. Voicy ce qu'elle en a écrit. Ne vous mettez point en peine pour moy, je suis content des conduites de Dieu sur moy; je les adore & les aime, ma chere tante! O que les creatures sont inconstantes ! & qu'il fait bon ne s'attacher qu'à Dieu seul. Ce petit mot, ma chere mere & tante, est pour vous dire comme à ma chere et bonne mere, que Dieu continuë ses bontez sur moy, me donnant un coeur soûmis à toutes ses conduites, quoy qu'un peu rudes à la nature, & à ce que mon amour propre desireroit. Je trouve mon repos dans cét état: Dieu est ma force, mon appuy & mon esperance; pourveu qu'il soit content, je le suis, & ne veux vivre & souffrir que pour luy, dans l'accomplissement de sa tres-saintes volonté; tout ce qui m'arrivera en la vie & en la mort, me sera toûjours aimable dans cette veuë. Je vous conjure, ma tres-chere tante, de remercier Nôtre Seigneur pour moy, des graces qu'il me fait: Et demandez luy que j'y corresponde avec fidelité. Ne soyez point en peine pour ma santé, elle n'est pas fort bien établie, mais elle ne m'empéche pas d'étre contente. Et dans une autre Lettre elle parle en ces termes.Ne penseriez vous point, ma chere tante, que je fusse bien-aise de participer à tant de bien & tant de consolations que Nôtre Seigneur vous dispense si leberalement de vôtre sainte Communauté de Bayeux: En vérité si Dieu ne me deffendoit d'étre trop amie de mes satisfactions, il y auroit à craindre que tout le bien que vous me dites, ne me donnât envie de le goûter; mais je n'y pense que de la bonne sorte & en la maniere que Dieu le veut. Mon pauvre Canada, tel qu'il est, m'en donne autant qu'il m'en faut. Je ne souhaitte que la grace que j'espere de Nôtre Seigneur, d'y demeurer toute ma vie. Mon coeur est prêt à tout, & se trouve dans une assez bonne disposition pour ne faire, & pour ne vouloir que ce qu'il veut. Et dans une autre Lettre elle écrit cecyJe vous diray de plus que mes forces se sont accreuës, Dieu ne veut aps que je l'aille voir si-tôt; au moins il y a grande apparence que le temps de mon bannissement est prolongé. Qu'il en soit beny à jamais, je tâcheray de mieux faire à l'avenir, en me prévalant de ce qui me reste de vie, pour le servir avec fidelité. Si j'avoir crû le conseil de plusieurs personnes, je ne possederois pas le bien que je possede dedans le Canada. Je loüe Dieu de tout mon coeur, de la grace qu'il m'a faite de m'y avoir conduite. J'y trouve non seulement mon contentement dans les petites croix qui sont inseparables de ce païs; mais encore une abondance tres-grande de toutes sortes de consolations. Le bonheur que j'ay d'étre dans une sainte Communauté, en est un puissant motif: Le bon exemple que j'y voy, la charité que toutes nos Soeurs ont pour moy, m'engagent de plus en plus à aimer ma sante vocation, & me donner de plus en plus à Dieu. Vne autre Lettre de l'année 1666. contient ces parolesDe France & de Canada, les croix sont abondantes. Beny soit mille & mille fois celuy qui les envoye & qui les permet. J'adore sa sainte Providence, & autant qu'il est en moy, je luy dis du meilleur de mon coeur fiat, fiat. Et dans une autre.Si les bruits, dit-elle, qui courent icy, ont leur effet, nosu sommes en danger de n'étre plus guere en ce monde; heureux danger pour nous, puisque la mort nous sera vrayement d'un fruit inestimable. Je vous diray aussi que Nôtre Seigneur m'a donné un peu plus de santé, & que par sa bonté il me donne occasion de travailler plus que jamais à me santifier. Si j'apportois plus de fidelité à correspondre à tous ses desseins, je n'éprouverois pas tant d'attiedisseemnt que j'en ay à son service. Priez pour moy, ma tres-chere Mere, j'en ay bien besoin; si je vous pouvois parler à la façon des Anges, je vous dirois bien au long sans vous dire mot, ce que difficilement ma plume vous peut exprimer: Je prie Nôtre Seigneur de vous le faire connoître, afin que vous soyez plus excitée à luy recommander tous mes besoins. Demandez luy sur-tout, que sa tres-sainte volonté soit faite en moy, malgré mes resistances; car du moins je m'y soûmets, & il me semble en avoir le desir. Mais, ma chere Mere, il y a grande difference entre le desir & l'exécution: O que souvent la pauvre nature crie! quand je vien à l'effet. Il n'importe pourtant, il faut que Dieu soit le Maître. C'est ce que je vous supplie de luy demander pour moy. Je ne vous oublie point en mes prieres, ny en ce que la divine Providence veux que je souffre, etc. Voicy comme parle une autre de ses LettresNous vivons icy, graces à Dieu, en paix, dans l'union & avec beaucoup de contentement. Toutes nos Soeurs sont tous les jours dans le chemin & l'exercice des Saints, & menant une vie toute pleine d'édification, il n'y a que moy, qui demeure toûjours en arriere. Je vous asseure que je vous ferois pitié, si vous me connoissiez bien, & n'étoient les prieres que tant de saintes Ames font pour moy, je ne sçay où j'en serois. Tout cela avec la bonté & la misericorde de Dieu me soûtient, & la protection de ma bonne Mere & Maîtresse la sainte Vierge; laquelle me fait ressentir, quoy qu'indigne, qu'elle a toûjours soin de ceux qui se confient en elle. Il faut que je vous disse à ce propos, que l'an passé je vous envoyay une de ses images qui m'avoit été donnée par le Reverend Pere Bressay, qui l'avoit portée dans tous ses voyages & aux Iroquois, où elle avoit été témoin de tout ce que ce bon Pere avoit souffert; & elle luy avoit été renduë par ces Barbares, lorsqu'il fut délivré, apres avoir été brûlé plus de vingt jours cruellement. Je vous diray qu'en quantité d'occasions où je m'adressois à la tres-sainte Vierge devant cette Image, j'ay expérimenté un secours tres-special; & ne luy demandois guere de choses, que je ne l'obtinsse à son occasion. Masi enfin, quoy que je l'aimasse uniquement, je voulus vous l'envoyer: mais quand j'ay appris qu'elle avoit été perduë, je n'y pouvois penser que les larmes aux yeux; lorsque je m'inmagine que ces miserables Anglois l'ont peut-étre foulée aux pieds, cela me perce le coeur. J'avois un adrent desir qu'elle allât jusques à vous: mais Nôtre Seigneur ne m'a pas exaucée mes desirs; qu'il en soit à jamais beny. Dans une autre Lettre de l'année 1663. elle parle ainsiJe vous prie de me mander l'an prochain si cette bonne fille dont vous m'avez autrefois parlé, est encore en vie. Le recit qu'on me fait de sa vertu. me donne une grande estime pour elle, & la part qu'elle a aux états souffrans de Nôtre Seigneur, me lie beaucoup à elle. Si elle est vivante & que vous ayez communication avec elle, faites moy la charité de me procurer un petit souvenir en ses saintes prieres. O qu'il est necessaire qu'il y ait de bonnes ames sur la terre! car la corruption est grande par tout. Je sous asseure que e m'est un sujet de douleur plus grand que je ne le puis exprimer. O que de bon coeur je voudroit rendre à Dieu tout l'amour que tant d'ames luy refusent à tous momens! Je me joins avec vous, a tres-cher tante, & desire que nous soyons consacrées à luy satisfaire en la maniere qu'il luy plaira. Vous ne sçauriez me rendre un plus grand service, que de m'offrir & m'abandonner à sa divine volonté pour ce sujet. Je vous rendray la pareille. De ce qui a été jusqu'à present rapportée de ses Lettres, il est aisé de remarquer qu'elle étoit animée veritablement de l'esprit de Dieu, & qu'elle possedoit beaucoup de vertus solides. Son amour tout embrazé pour Dieu, sa devotion de tendresse à la sainte Communion, sa confiance admirable à la sainte Vierge & à plusieurs Saints; sa patience invincilble & sa resignation entiere dans les souffrances, sa ferveur dans les infirmitez, l'amour de sa vocation, sa charité & son zele, son humilité & le peu d'estime qu'elle faisoit d'elle-méme, sa soûmission envers ses Superieurs, & la confiance entiere envers ceux à qui elle en devoir avoir: En un mot toutes les vertus s'y remarquent dans un excellent degré. Ses Lettres étoient toutes pleines de coeur & et de charité, d'un stile si juste, si agreable, qu'elle les écrivoit sans aucune peine, & aussi aisément qu'elle parloit. Elle mandoit un jour à la Reverende Mere de saint Augustin de Bayeux, qu'elle avoit écrit de compte fait, dans le peu de temps que les Navires demeurent à Québec, 156. Lettres tant pour soy que pour d'autres personnes à qui elle servoit de Secretaire: car sa main aussi bien que son coeur, n'étoit que charité, méme pour les plus pauvres, & pour des personnes qui étoient le rebut du monde.
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