CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
VI-3. Dieu la dispose à la mort
CHAPITRE III Le 28. Août 1667. (dit-elle) mes hôtes retournerent, & me firent éprouver leurs operations ordinaires; mais quoy qu'il me semblât que je souffrois plus que par le passé, je sentois toutefois plus de force, & mon esprit étoit aussi en paix, que si toutes ces choses s'étoient passées hors de moy. Depuis le commencement de l'Avent jusques au dernier jour de l'année 1667, je fus dans un accablement extréme, & dans une continuelle tentation de desespoir; de sorte qu'à chaque moment il me falloit faire beaucoup de violence, pour ne pas mettre mes desirs en execution. Le dernier jour de l'an, sentant un redoublement furieux de cette tentation & de ces peines; je me traînay avec assez de peine jusqu'au Choeur, devant l'Autel de Nôtre-Dame: Ce fut là que je donnay un peu d'air à mon pauvre coeur, & je répandis force larmes en me plaignant doucement à la sainte Vierge, de ce qu'elle m'abandonnoit de la sorte. Je luy dis tout ce que l'affliction & l'affection me suggeroit pour lors; & je me resolus de ne pas partir de là, qu'elle n'eut fait ma paix avec son tres-cher Fils, qui me paroissoit fort irrité contre moy. Je fus bien hue heure de temps avec un rebut étrange. Tout d'un coup il me sembla que la sainte Vierge me promit secours, & son saint Enfant aussi, & qu'il dit à sa mere qu'il voiloit se donner à moy, & étoit accompagné d'une grande suite. Je conceus en méme temps que cette suite seroit d'accroissement d'hostes; je les priay tous deux de n'en rien faire, parce que me trouvant déja toute accablée, je ne croyois pas pouvoir supporter ce redoublement, sans succomber tout à fait. Ils m'asseurrent qu'il n'y avoit rien à craindre, & que je devois m'abandonner sans crainte, à tout ce qu'ils voudroient. Le Pere de Brebeuf me portoit aussi à m'offri à la divine volonté sans aucune reserve. Je le fis, avez assez de eine, quoy qu'avec courage: Je restay aprés cela un peu plus calme d'un costé, restant d'ailleurs étrangement tourmentée par une armée de demons qui étoient autour de moy, comme seroit une armée preste à fondre sur une Place. Je les sentis de méme jusques au lendemain, qu'au moment de la Communion, ils entrerent avec une contrainte que je ne sçaurois jamais assez expliquer; car ils y furent forcez par un pouvoir bien grand, ce qui les faisoit enrager: ils furent mis là pour accompagner Nôtre-Seigneur, & malgré eux le reconnoître pour leur Roy et Souverain. Il n'est pas facile d'exprimer quels cortege d'Enfer ne m'étoit pas insupportable, & toutes leurs mauvaises impressions ne servoient que pour m'unir davantage à celuy qui s'étois donné à moy d'une façon si intime, qu'il me sembloit que doresnavant rien ne pouvoit me separer de luy; & c'est ce que j'éprouvois ce me semble, quoy que ces demons me donnassent bien d'autres sentimens : mais leur operation n'étoit pas la plus forte, quoy qu'elle fût assez ordinairement plus sensible. Le Caréme on m'accorda moins de cette paix & de cette quietude. Je me trouvay presque toûjours dans un tres-grand accablement; & il me sembloit que Dieu étoit toûjours irrité contre moy, & ne lançoit sur moy que des foudres. Je voulois esperer contre toute esperance; & souvent je n'en avois pas le courage. Car il me sembloit que c'étoit une chose hors de raison d'esperer. Je sentois un desir vehement d'étre damnée au plûtost. Plus j'approchois de la Feste de mon saint Directeur celeste, plus ma Croix fut pesante & crucifiante. Il s'étoit tellement mis de la partie contre moy, qu'il ne me jettoit que des regards de colere; & on auroit jugé qu'il ne se pouvoit rassasier de me voir souffrir. Il eût voulu qu'on eût redoublé. Je me suis fait assez souvent violence pour le vouloir un peu appaiser, en luy representant qu'il n'en usoit pas de la sorte lors qu'il vivoit sur terre; & qu'il me sembloit devoir avoir encore plus de bonté maintenant qu'il étoit au Ciel. Mais il a gardé & garde encore maintenant cette severité en mon endroit; &il me semble qu'il ait comme regret que nôtre Seigneur & la sainte Vierge me fassent ressentir quelque petit rayon de douceur, & un moment de calme. Je sens nonobstant cela, plus méme de respect & de confiance en luy, & une certaine attache plus forte; & souvent éprouvant exterieurement, aussi bien qu'interieurement, beaucoup de peines & de douleurs, j'entre dans ses sentimens, luy disant; « Que je suis aise, mon Pere, que vous ayez un peu de joye & de satisfaction maintenant, de me voir ainsi crucifiée: fâchez-vous contre moy tant qu'il vous plaira; je vous regarderay & vous aymeray toûjours, comme mon bon & charitable Pere. » Je fasi ainsi l'enfant avec luy, & j'en agis avec grande simplicité. La semaine Sainte je sentis assez particulierement sa prensence; mais il me paroissoit toûjours insatiable de souffrances. Cela me fait quelquefois bien de la peine; car la fille d'Adam voudroit étre un peu plus en repos.
Ce que je viens de dire, est ce qu'elle écrivit un peu avant sa mort.
Ce qui suit, s'est trouvé marqué dans son Iournal.
Saint Michel étant aussi un de ses Protecteurs, qui luy avoit promis son assistance jusqu'à la mort,
ce fut le jour de la Feste des son Apparition,
huitiéme May, qu'elle deceda. J'éprouve souvent (dit-elle d'autre part) un secours assez prompt de ce que je recommande aux saint Anges; quand c'est pour les autres que je demande quelque chose. Lors que j'ay connoissance que quelques-uns ont peine à s'humilier, à souffrir un mépris & une confusion, je m'adresse à saint Michel; si je sçay un coeur dur envers le prochain, je prie saint Gabriël; lors que j'apprens quelque affaire embroüillée, ou quelque chose qui doive faire peine, ou en particulier ou en general, j'ay recours à saint Raphaël, & je ne le fais guere sans en recevoir un prompt secours. |