CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
VI-6. Témoignages de son Directeur
CHAPITRE VI Son Directeur expose son état interieur des années 1655. & 1656. Le Pere Ragueneau Jesuite étant descendu de la Mission des Hurons en l'année 1650. ne fut pas si-tôt arrivé à Québec, qu'il se trouva engagé à prendre la direction de cette sainte Epouse de JESUS-CHRIST, qui n'avoit pour lors que 18. ans. Dés que son coeur luy fut connu, il vit bien que Dieu s'en étoit rendu le Maître; il a eu le soin de sa conduite douze ans de suitte étant sur les lieux; & ayant été obligé de revenir en France en 1662. il a toûjours sçeu de depuis par les Lettres qu'elle luy en écrivit jusques à la mort, tout son interieur. Il asseure qu'elle a toûjours été croissant, comme la lumiére du jour croît jusqu'à son midy: Son coeur luy ayant toûjours été ouvert avec une sincerité, une humilité & une soumission ausquelles on ne pouvoit rien ajoûter. La sainte union qu'avoit l'ame innocente de cette fille, avec l'ame de la Reverande Mere Marie de saint Augustin Fondatrice & Superieure des Hospitalieres de Bayeux, que par respect & amour elle appeloit & sa tante & sa Mere, quoy qu'elles ne fussent que cosines; l'obligea de prier le méme Pere son Directeur, d'informer au vray cette amie de son coeur, de son état interieur que Dieu conduisoit par des voyes bien extraordinaires, & autant sublimes qu'elles étoient crucifiantes. Elle se croyoit alors étre fort criminelle devant Dieu, quoy qu'elle fût plus innocente que jamais; & elle ne vouloit pas que celle qui l'aimoit la crût innocente, & fût trompée sur son sujet; car quoy qu'elle ait été tentée dans l'excez de toutes sortes de tentations, toutefois elle n'a jamais été tentée, ny de desir de passer pour sainte & vertueuse, ny que l'on crût d'elle au dessus de ce qui étoit en elle: C'est dont elle avoit une aversion & une horreur comme naturelle. Ainsi son Directeur de son consentement informoit toutes les années la Superieure de Bayeux, de l'état de son ame. Voicy ce qu'il luy en écrivit l'année 1655. Depuis l'an passé les croix de vôtre chere fille ont plûtôt crû que diminué; tant celles qui viennent de la part de la creature, que celles que Dieu luy envoye plus immediatement; mais sa fidelité & toutes ses vertus ont aussi augmenté à proportion, & vont croissant de jour en jour; quoyo qu'à son jugement elle se dise infidelle, & qu'elle ne croye avoir que des froideurs pour Dieu. Ce n'est pas un état de delices lorsque dans un corps souffrant l'ame a plus encore à souffrir : Quand Dieu, quoy qu'il soit dans le fond du coeur, veut se ternir caché à une ame qui voudroit bien l'aimer, & qui pense n'avoir pour luy que de l'indifference; qui soûpire apres son amour, & toutefois qui ne croit pas y soûpirer, à cause qu'elle ne sent pas les chaleurs de l'amour, & parce qu'étant presente à elle-méme elle ne peut, ce luy semble, s'élever un moment à Dieu; c'est un feu bien secret qui purifie les saintes Ames, & qui leur est un bon Purgatoire en cette vie: Quand en méme temps les passions & le corps se revoltant contre l'ame, veulent la faire revolter contre Dieu, & lorsqu'il semble qu'ils attirent à leur party les inclinations naturelles, les pensées & la volonté; à cause que voulant se défaire des fantômes qui déplaisent à l'esprit, ils s'y attachent davantage, & le captivent sous une loy qui est contraire à la Loy de Dieu, c'est, ce me semble, un enfer, où plus une ame a une sainte horreur du peché, plus elle pense y étre engagée, plus elle craint le malheur qu'elle sent, plus enfin elle se croit miserable, à cause que celuy qu'elle aime, non seulement ne luy fait pas sentir sa presnce; mais qu'il semble plûtôt s'éloigner d'elle, parce qu'elle se croit toute infectée de crimes; & qu'elle sçait bien qu'il est la pureté méme: En méme temps sentir un dégoût continuel des exercices de vertu, & méme des choses les plus saintes, n'est-ce pas un sujet de croire qu'en effet le peché domine en son ame, & que Dieu n'y est plus le Maître, puisque sa voix n'y est pas quasi entenduë, & qu'on n'a point d'amour pour ce qu'on sçait qu'il aime; mais plûtôt que l'on a toute la pante de son coeur à ce qu'il a le plus en horreur ? Mais une ame qui en cét état vit & agit par l'esprit de la foy, qui souffre en patience ce qu'il n'est pas en sa liberté de ne pas souffrir; une ame qui dans ce Purgatoire & cét Enfer, ne quitte pas son Dieu & se tient attachée à luy, en l'aimant lorsqu'elle ne pense pas l'aimer, & luy demandant son amour lorsqu'elle pense y étre le moins portée; une ame qui de tout ce qui luy est libre, fait tout ce qu'elle sçait, & tout ce qu'on luy dit que Dieu demande d'elle, & qui ne fait rien qui soit contraire à son amour; qui ne fait pas le mal qu'elle pourroit bien faire; mais fait le bien dont la nature & tous les sens luy donnent tant d'éloignement: une ame enfin qui dans ce sacré abandon, se dit à soy-méme & à Dieu, qu'elle veut tout ce qu'il veut, pour le present & pour toute sa vie, & que volontiers elle se voit dépoüillée de tout ce qui n'est pas son Dieu mais qu'elle le veut aimer, & qu'à jamais elle luy sera fidete; cét état n'est-il pas un martyre d'amour, un triomphe de la grace victorieuse de tout ce qui est hors de Dieu ? Une ame en cét état ne peut-elle pas dire avec saint Paul, in infirmitatibus meis gloriabor ? Je me glorifieray dans mes infirmitez. Ne peut-elle pas dire aussi avec luy, Cum infirmor tune potens sum? Lors que je suis dans mes foiblesses, c'est alors que je suis plus puissante ? N'est pas cette ame saintement souffrante qui peut s'écrier avec le méme Apôtre, Quis nos separabit a charitate Christi ? Qui me séparera de la charité de JESVS & de mon tout? Ny le Ciel, ny la terre, ny la vie, ny la mort, ny l'Enfer, ny les hommes, ny les Anges, ny les demons ennemis de mon Dieu, ny le present, ny l'avenir, ny quoy que ce soit, ne me separera de mon Dieu. Voila, ma Reverande Mere, un crayon de l'état où se voit vôtre chere Fille; ou pour mieux dire, ce sont les Anges & moy qui la voyons dans ces saintes souffrances, & dans ce martyre d'amour; car elle ne s'y voit pas, & elle ne croit y étre, sinon par une noûmission de ses sentimens & de ses veuës, à la conduite de celuy qui la gouverne, & qui est son Ange visible. Dans cette guerre, elle y trouve la paix; dans ces troubles, je puis dire que son ame est dans le calme, & dans un calme d'autant plus divin, que moins il est sensible. Pax Di quoe exuperat omnem sensum. Et dans cét abandon elle n'est pas abandonnée, elle aime son Dieu, & son Dieu l'aime, & son coeur ne trouvant rien d'aimable hors de Dieu, n'aime aussi que son Dieu, qui penetre le fond de son coeur. J'ose bien asseurer que cette chere Epouse de JESUS-CHRIST demeure inébranlable dans le plus fort de ces tempestes: Sa pureté est Angelique, son innocence est rare, puis que depuis son Baptéme elle n'a jamais esté soüillée. Sa force & son courage sont vrayement heroïques, enfin son amour est tres-fidele à son Dieu. c'est tout dire en ce peu de mots. J'en dirois davantage si je la survivois; & j'en aurois trop dit, si je ne sçavois qui vous étes, ce que vous luy étes, & ce qu'elle vous est. Elle m'a prié de vous écrire ses foiblessses; & je crois que Dieu me permet en méme temps de vous écrire les effets de la grace en elle, & le triomphe de son amour. Au reste de tout cela, rien ne paroît que ce qui doit paroître; son humilité, son obeïssance, sa charité & sa douceur. L'on croit, & ceux mémes qui pensent la connoître le plus à fond, qu'elle n'a rien à souffrir, & qu'elle est dans une paix profonde, sans combat & sans resistance. On luy dit méme, que comme elle est d'un naturel qui en rien ne donne peine à son esprit: elle doit craindre qu'elle n'agisse plûtost dans l'esprit de la nature, que la grace; & que son amour en Dieu, ne trouvant piont de resistance, n'en soit plus foible & moins fidele à Dieu. Je ne vous parle point de ses maladies qui sont continuelles, ais qu'elle supporte avec vne patience, & une conformité entiere aux volontez de Dieu. Elle n'aime point la vie, & ne craint point la mort. Qui craint Dieu, n'a plus rien à craindre, & qui l'aime, ne se met pas en peine d'étre aimé de la creature, sinon autant que Dieu le veut & le permet. L'année suivante 1656. le méme Pere écrit encore assez amplement sur le mesme sujet. Je n'en mettray icy qu'une petite partie. Dieu conduit nôtre tres-chere Fille par les mémes voyes, que je vous écrivis l'an passé, & toûjours elle est fidelle à son amour. Cét estat me paroît si sublime, si solide & si divin, que je vois plus clair dans la pureté de son coeur, & j'ay plus d'asseurance que le Saint Esprit y habite, que si elle joüissoit d'une paix profonde, & si elle étoit comblée des joyes & des douceurs que bien souvent Dieu verse dans le coeur des Saints en cette vie mortelle. Moins elle voit les richesses qu'elle possede, & plus je vois de thresors en son ame, qui ne luy seront jamais ravis, puis que l'humilité en est la gardienne. Dans cét estat elle n'a point d'inquietude. Elle a un coeur docile, elle n'est point scrupuleuse, elle découvre son coeur avec une simplicité si humbe, & obeït avec tant de candeur; elle a un visage si égal, & une parole si consolante pour ceux qui sont les plus desolez, que l'on se persuade aisément que Dieu verse sur elle les douceurs toutes pures du Paradis, & sans mélange d'amertume. elle se sent disposée de continüer jusqu'à la mort dans cét estat, & elle ne voudroit pas en sortir, sinon au temps que Dieu a destiné. C'est étre attachée à la Croix avec un coeur digne des enfans de Dieu. Elle est méme relouë de souffrir encore davantage: en un mot, je puis dire qu'elle souffre en paix, & que n'ayant en ce monde aucune consolation de quelque costé que ce soit, elle s'en voit privée de bon coeuer, à cause qu'elle est contente, pourveu que Dieu le soit; & elle sçait bien qu'il le sera, tandis qu'elle ne voudra que ce qu'il veut. Il est vray que sa santé est foible, & qu'elle n'a pas icy tous les soulagemens qu'elle trouveroit en France. Il est vay encore que la nautre n'y souffriroit pas tant: Mais ne craignez pas qu'elle soit à charge, fût-elle attachée dans un lit, ce sera un thresor dans une maison. si elle avoit moins de generosité qu'elle n'a, j'eusse moyméme songé au changement; car rien de violent ne peut étre de durée. Mais son courage & l'amour des Croix luy ont rendu cét estat comme naturel, & elle y est si fortement establie, que je ne crains rien de ce côté-là, avec la grace de Dieu, qui ne luy manquera pas. Plus elle a vaincu l'ennemi, plus elle a de force à la vaincre. Une personne qui a resisté deux & trois ans à de si forte tentations, par les veuës seules d'une vertu solide, & détachée de la sensibilité de la devotion, y croîtra plûtost toûjours en force & en vigueur, qu'elle ne s'affloiblira. |