Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

VI-9. Connoissance du bonheur

CHAPITRE IX
CONNOISSANCES DU BONHEUR

Quelques connoissances qu'il a plû à Dieu de nous donner de son bonheur eternel

Les ames les plus saintes ne sont pas toûjours exemptes du Purgatoire, témoin saint Severin Evesque de Cologne, selon le rapport de Pierre Damien Cardinal; témoin sainte Vitaline Vierge en Auvergne, qui apparut à saint Martin de Tours, luy disant que nonobstant les miracles qui se faisoient à son tombeau, elle étoit encore en Purgatoire pour quelques fautes d'ailleurs assez legeres, & luy demandant ses prieres, par lesquelles elle fut delivrée au bout de trois jours.

D'autre part, quelques histoires nous apprennent que quelquefois il y a eu des ames qui n'ont pas été condamnées à un Purgatoire de feu & de flammes, du moins pour toûjours; mais qu'elles étoient simplement retardées de la joüissance du Paradis, & de la veuë de Dieu; toute leur peine étant dans le delay de cette privation, qui les purifioit & les disposoit à la ferlicité eternelle. Et nous avons aussi appris que nôtre Seigneur avoit usé de cette bonté envers plusieurs personnes destinées pour le salut des ames, qui n'y ayant pas été assez fideles, ny assez zelées pour la gloire de Dieu, avoient eu un Purgatoire bien plus doux & plus moderé que l'ordinaire; la justice & la bonté de Dieu leur ayant donné, comme par une mission passagere, le soin d'aller en divers lieux procurer invisiblement le salut des Ames, en la façon que le font ordinairement les Anges; & que des Ames détachées de leurs corps le peuvent faire, étant remplies du veritable amour de Dieu.

Dieu a fait connoître à quelques personnes qui sont encore vivantes, & que je puis nommer, que c'étoit là le Purgatoire que sa justice & sa bonté avoient donné à nôtre tres-heureuse Defunte, & qu'elle n'avoit été dans une peine sensible que fort peu de temps: aprés quoy elle avoit été obligée d'assister plusieurs personnes, soit en Canada, soit méme en France. Et nous sçavons avec autant d'asseurance que les choses de cette nature se peuvent sçavoir, que son Ame toute charitable, aprés avoir été fort peu de temps dans ce Purgatoire de pur éloignement; presentement qu'elle est au Ciel, a rendu souvent & continuë de rendre à quelques personnes, dont Dieu luy a donné la charge & le soin de les sanctifier, les mesmes assistances & à peu près en la mesme façon, que ce grand serviteur de Dieu le Père de Brebeuf luy a rendu à elle-mesme, les six années dernieres de sa vie, lorsqu'il luy a servy de Conducteur celeste, & de Directeur invisible en toutes ses tentations.

Une personne de piété s'adressant à elle peu de jours aprés sa mort, pour obtenir de Dieu quelques graces dont elle avoit besoin; la Defunte luy répondit. Je le feray, mais ce sera à condition que vous remercierez la divine bonté des graces qu'elle m'a faites à l'heure de ma mort.

Vne autre digne de foy, qui n'est pas une personne imaginative, s'étant mise en état de prier pour elle, vit un globe de cristal parfaitement clair & luisant, & entendit une voix dans son interieur, qui luy fit connoître que c'étoit l'Ame de la Defunte, & qu'il falloit étre aussi pur que ce cristal pour joüis de Dieu.

Vne Religieuse de sa mesme Maison a donné par écrit le recit qui suit

Etant, dit-elle, de mon naturel fort apprehensive de tout ce qui concerne les choses de l'autre monde; un soir pendant Matines qui se recitoient au Choeur à l'ordinaire, je pensois à nôtre Defunte, pour qui j'ay eu toûjours une inclination & une affection non commune. Ce qui m'a portée depuis son decez à faire tout mon possible à ce qu'elle fût joüissance au plûtost du bonheur eternel. Je luy disois dans le langage du coeur, O ma chere Soeur, si je pouvois connoître par quelque voye que Dieu auroit agreable, & qui ne me fist point de peur, si vous étes libre des souffrances du Purgatoire; que je serois consolée ? <> La nuit étant endormie, il me sembloit que je voyois ma Soeur de saint Augustin seule, tout proche de moy, d'un visage grandement paisible, laquelle me dit fort benignement : Enfin Dieu vous accorde ce que vous avez desiré; Je vous asseure ma chere Mere, & soyez certaine, que je suis entierement libre.> Ce qu'elle me repeta plusieurs fois, ajoûtant, je suis fort bien & sans aucune peine. Je la considerois avec une telle affection, en disant en moy-méme; Je n'ay aucune peur, Dieu m'a donné l'accomplissement de mes desirs. Je luy demanday, de quelle façon la creature étoit devant Dieu; elle me répondit,Vn pur neant. Mais pourtant vous étes quelque chose de grand, puis qu'il vous a fait tant de graces ? A quoy elle me réopndit, Nonobstant cela, je ne suis rien en moy-méme, ny toutes les creatures: Tout vient de Dieu, & tout retourne à Dieu, restant toûjours un pur neant. Elle me dit encore plusieurs choses pour me prouver cette verité, que j'avais grand plaisir d'entendre, mais je ne les ay pas retenuës; il m'est resté seulement dans l'esprit une connoissance fort claire, que toute creature n'est rien, & que Dieu seul est tout en elle, dans l'ordre de la Nature, de la Grace, & de la Gloire. Ce que je n'avois jamais si bien conceu que je le fais à present. La grande joye que j'avois de l'entretien & de la veuë de cette chere Ame, fit que je m'éveillay fort promptement, il me sembloit qu'elle étoit toute proche de moy, que je n'aurois aucune peine de la voir; amsi je n'en suis pas digne. Ce songe fut environ cinq semaine aprés son decez.

Notez que souvent les plus grands Saints n'ont receu leurs revelations que durant le sommeil. L'Ange n'avertit qu'en songe saint Joseph de fuit en Egypte, avec le petit JESUS & sa sainte Mere; & ce fut encore dans le sommeil que l'Ange l'avertit de sortir d'Egypte, & de retourner en son pays. Ce fut en songe que les Rois Mages furent avertis de ne repasser par la ville de Jerusalem pour retourner en leur pays. Ce fut en songe que Salomon demanda à Dieu la Sagesse, Dieu ne luy ayant apparut & ne luy ayant accordé sa demande que dans méme songe; ainsi qu'il est écrit au chap. 3 du livre 3 des Rois. Ce ne fut aussi qu'en songe que Dieu luy revela qu'il exauceroit ses prieres, & celels de son peuple, dans le Temple auguste qu'il avoit basty, au chapitre second du livre second des Paralippoménes.

Voicy un autre songe qui paroît n'étre pas sans mystere, du moins il a été d'un tres-grand profit, & d'une consolation extraordinaire & celle qui l'a eu, pour l'animer au service de Dieu. Elle l'a écrit en ces termes. La nuit de devatn la Feste de la Tres-Sainte Trinité, le 16. de Juin, je pensay que nôtre Bienheureuse defunte estoit proche de moy, quoy que je ne la visse pas, & qu'elle me disoit fort affablement: Courage, ma chere Mere, dans peu d'années vous serez avec moy; nous serons toutes deux ensemble. Je luy dis: Il faudra donc que je sois long-temps en Purgatoire, & que j'y souffre beaucoup. Elle me répondit Vous y serez sans doute, mais il sera plus doux que vous ne pensez: Dieu a des bontez & des misericordes extraordinaires, & une sorte de Purgatoire qui n'est pas si horrible, que celuy du feu. Là dessus je m'eveillay toute pleine de joye pour de si bonnes nouvelles, & pensant trouver ma chere compagne auprés de moy. Ce songe me revient souvent dans l'epsrit, & a fait de fortes impressions sur mon coeur, me donnant de nouveaux desirs de bien servir Dieu.

Une autre Religieuse de la méme Maison, intime aimie de la Deffunte assui bien que la precedente; toutes deux des plus considerables de la Maison, & qui vrayement sont toutes à Dieu, a souvent éprouvé le pouvoir qu'a aupres de Dieu la Soeur Catherine lors qu'elle l'a implorée. Voicy ce qu'elle en écrivit à Bayeux, apres avoir parlé de ses rares vertus.

Nôtre Seigneur fait beaucoup de graces & tres-singulieres à ceux qui ont confiance au credit de nôtre tres-chere Soeur de saint Augustin; plusieurs m'en ont asseuré, & méme des plus considerables de ce païs; mais sans m'arréter aux sentimens des autres, je me tiens à ma propre experience qui me fait voir qu'elle a pour moy des tendresses admirables, & qu'elle prend un soin particulier de ce qui me touche: j'étois tres-souvent incommodée de ma colique nephretique; amsi depuis sa mort je ne m'en suis point du tout ressentie: mes deux procures, celle des pauvres & celle de la Communauté, me donnent quelquefois lieu de reclamer son secours; ce que je ne fais point asans en recevoir de bons effets. Entre plusieurs je vous feray part d'un en particulier. Vous sçaurez, ma tres-chere Mere, que l'argent monoyé est tres-rare en ce païs: il y a quelque temps que s'étant presenté une occasion où j'en avois besoin pour contenter un Ouvrier qui m'en demandoit, je me trouvay assez embarassée. Cela m'obligea d'avoir recours à ma Bienfaitrice ordinaire. Nôtre Portiere disoit, Bon Dieu, si la pauvre saint Augustin nous vouloit envoyer son Ange, elle nous ôteroit promptement de peine: Dans ce moment il vint un homme au Tour, que l'on n'a jamais connu, ny pû connoître depuis; qui apporta justement le double de la somme qu'il faloit pour mon Ouvrier. On demanda à cét homme inconnu s'il ne vouloit parler à personne; il dit qu'il n'avoit plus rien à faire. Il se passe mille rencontres, où je ne dois pas douter de son assistance: aussi me l'avoit-elle promise bien soennellement. Ne craignez point (disoit-elle) je seray toûjours avec vous, & vous accompagneray au service des pauvres; comme aussi avant sa mort, elle m'avoit promis la guerison de ma colique nephretique.

Une bonne femme tres-simple & bonne servante de Dieu, étant attaquée el 3. Octobre d'une colique nephretique qui luy causoit de furieuses douleurs, essaya plusieurs choses pour son soulagement; mais ce fut en vain: elle eut recours à la priere à Nôtre Seigneur, à Nôtre-Dame, & enfin à la deffunte Mere de saint Augustin: Ma charitable Mere qui avez eu un sig rand soin de moy, lorsque j'étois malade en vôtre Hôpital; secourez-moy au plûtôt dans l'extremité du mal où je suis; je vous en conjure. Cette bonne femme a sseuré qu'à ces derniers mots, elle fut tout d'un coup entierement guerie & délivrée de toute incommodité, par je ne sçay quelle operation qu'elle sentit sur son corps, en un moment.

Pour le secours que j'ay receu de nôtre precieuse Deffunte; je vous diray en confiance qu'au commencement du Caréme, ne pouvant m'appliquer à Nôtre Seigneur souffrant, une nuit en dormant, elle m'apparUt, & je voyois qu'elle avoit un visage fort gay: Je luy voulus parler de ma peine; sans m'entendre ny me rṕondre, elle me mit au bras une croix avec son Crucifix; & en méme temps je me trouvay comme en Oraison, avec un amour & un attrait si particulier e nm'éveillant, qu'il me sembe que je n'ay eu guere de méme en toute ma vie: Ce qui me dura plusieurs jours, & presque tout le Caréme, & je m'en ressens méme encore presentement. La Lettre est de la fin d'Avril 1669.

Une Superieure d'une Maison d'Hospitalieres en France, écrit à la Reverande Mere Fondatrice des Hospitalieres de Bayeux en ces termes.

Ma Reverande Mere, je veux bien vous faire part de la joye que nous cause la sainteté de nôtre chere Soeur de saint Augustin vôtre digne fille. Je vous diray donc pour la gloire de Nôtre Seigneur, que toutes nos Soeurs en obtiennent tout ce qu'elles demandent par son intercession : Nous en avons veu entre quantité de petites choses, deux remarquables.
Premierement dans une Novice qui depuis six mois avoit une furieuse tentation contre sa vocation, bien que pour la vaincre elle fist tout son possible: Nous voyions tres-clairement que ce n'étoit qu'une pure tentation qui la tourmentoit; & nous étions bien fâchées de la voir ainsi dans cét accablement; c'est une fille d'un tres-bon sens & d'un jugement solide, qui a tous les bons talens que peut avoir une fille aînée d'une grande Maison, & que tous ses parens souhaittent: Enfin apres s'étre adressé à la sainte Vierge & à un grande nombre de Saints, elle promit de faire une neuvaine, en action de graces des faveurs que Nôtre Seigneur avoit faites à cette bonne & sainte Soeur : Trois jours apres, son esprit devint tranquille, & elle du depuis dans des desirs extrémes de sa profession.

La seconde est une Novice, qui à raison de son peu d'âge a été deux ans au Novitiat: son Tuteur s'opposoit à sa profession, avec des emportemens si furieux, que personne, ny méme la Justice ne lepouvoit reduire: Elle s'avisa de promettre trois Messes, neuf fois le
Te Deum & neuf Hymnes des Vierges, en action de graces des faveurs que nostre deffunte Soeur de saint Augustin avoit reeuës de Nostre Seigneur; & que si elle la vouloit assister, elle prendroit son nom, & luy auroit toute sa vie une singuliere devotion. Il arriva que le 7. jour apres sa promesse, son Tuteur vint en cette Ville avec une fureur & un emportement étrange contre son dessein. alors la fille ayant renouvellé ses prieres, alla dire neuf fois le Te Deum; & totu d'un coup cét homme devint à nos yeux doux comme un Agneau: il passa le contract qu'il voulut méme signer à genoux (disoit-il) par respect au sacrifice de la fille, qui fit profession trois jours apres.

De plus le jour de Pâques, l'on nous vint prier de recommander aux prieres de la Communauté une personne mourante qui avoit des tentations horribles; son Confesseur en étoit tout effrayé, & l'on me dit qu'elle étoit comme au desespoir. Je m'adressay à nôtre bonne Soeur, & je fis promettre à toutes nos Soeurs, une Communion en action de graces de toutes les faveurs que Nôtre Seigneur luy avoit faites; la priant de vouloir exercer sa charité envers cette pauvre file, en luy procurant quelque grace; & que puisque c'est nôtre profession d'ssister les agonisans, qu'elle demandât permission à Nôtre Seigneur de l'aller assister interieurement : L'on asseura que l'on vit environ une heure apres, un calme si grand au coeur de cette moribonde, & une conscience si tranquille, que cela surprenoit tous les assitans. Enfin elle mourut avec une resignation admirable.