Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

VI-4. Sa mort

CHAPITRE IV
SA MORT

Ie ne puis fidelement rapporter icy les circonstances de sa Mort; qu'en les prenant de la lettre circulaire qu'en écrivit la Revenrende Mere Marie de saint Bonaventure de Iesus sa Superieure, l'année méme qu'elle mourut. Voicy comme elle en parle.

Le 20. d'Avril 1668. de la presente année, Nôtre chere Soeur Catherine de S. Augustin fut attaquée d'un crachement de sang, qui ne dura que fort peu, & qui fit croire que ce n'étoit rien. Neanmoins la fiévre l'ayant prise avec de grandes douleurs de poitrine, les Medecins jugeant que quelque rameau s'étoit ouvert, qui dégorgeoit sur les parties nobles, on essaya en vain d'y apporter quelques remedes. Le troisiéme de May, qui étoit le jour de sa naissance, à la méme heure qu'elle nâquit, ses douleurs redoublerent notablement. Non seulement les corporelles, mais nous avons appris qu'en méme temps les souffrances interieures de l'esprit creurent aussi à proportion: la divine Justice satisfaisant aux desirs de cette innocente victime, qui s'offroit continuellement pour les pecheurs & pour les ames du Purgatoire, pour lesquelles elle la faisoit souffrir d'une façon étonnante, & inconcevable à ceux qui n'adorent pas avec amour les conduites de Dieu.

Dés le premier moment de son mal, elle renouvella son esprit de sacrifice; & par une mort continuelle de ses propres sentimens, elle pria une de celles qui luy rendoient quelques services, de ne la point consulter sur ses propres besoins; & surtout de ne luy donner aucun moyen de prendre aucun soulagement par son propre choix. Jamais elle ne refusa rien de ce qu'on luy presenta, quleque dégoust qu'elle en pût avoir. Sa soûmission, son amour & son humilité furent en toutes façons à l'épreuve; tout luy estant agreable, pouveu qu'il ne vint point d'elle. Nous n'avons pû remarquer en elle la moindre ombre d'impatience pendant toute sa maladie: le peu d'estime qu'elle faisoit d'elle-méme, luy faisoit recevoir les petits services que chacune de nos Soeurs luy rendoient, avec des sentimens d'une si grande reconnoissance, qu'on euût dit qu'elle s'estimoit indigne qu'on pensât à elle. Son mal prenant de nouveaux accroissemens, on jugea à prpos de luy donner les derniers Sacremens, qu'elle receut avec des dispositions toutes saintes. On entendoit un cliquetis qui se faisoit au dessous du Choeur, à la façon de deux pierres de fuzil, dont on voudroit faire l'essay. Sur la minuit, on la leva auprés du feu, où elle eut une grande faiblesse; dont étant revenuë, on envoya querir le Pere Chastelain son Confesseur. Aprés qu'on eut achevé les Prieres des agonisans, que l'on fit, parce qu'elle étoit effectivement dans l'Agonie; n'ayant plus ny poulx ny mouvement; ses yeux, l'espace d'un bon quarat d'heure, furent attachez fixement au Ciel, en la maniere d'une personne fort appliquée. Toute nôtre Communauté étoit fort attentive à la considerer en cét état, que nous jugions n'étre par ordinaire; & nous croyons avec probabilité, qu'elle receut en ce transport de son esprit, une parfaite connoissance de sa mort; car revenant un peu à soy, & ayant un plein usage de ses sens, elle dît d'une voix libre & intelligible, parlant à Dieu. « I'adore vos divines perfections, ô mon Dieu: I'adore vôtre divine Iustice; je m'y abandonne de tout mon coeur ! » Puis se tournant vers notre Communauté, avec un visage fort guay, & un renouvellement de forces, qui nous sembloit fort extra-ordinaire; elle demanda quelle heure il étoit, & comme on luy eut dit: Voila qui va bien, dit-elle, entre cinq & six heures il y aura du changement dans nos affaires: Mais cependant me voicy guerie; on me vient de dire que tous mes maux sont passez, que tout est fait, qu'il n'ya plus de douleurs. Et ce qui est admirable, c'est qu'elle n'avoit plus effectivefment aucune apparence de mal, non pas méme la moindre alteration du poulx. En se tournant vers moy, elle me dit d'une façon fort riante: « vrayement, nôtre Mere, il ne faut pas étre ingrate d'un bienfait receu; je vous prie de me faire donner nôtre Robe, pour aller devant le saint Sacrement au Choeur, afin de remercier Dieu de ses graces. » Je luy dit, que ce seroit pour une autre fois. Bien con, ma Mere, repliqua-t-elle, puis que vous ne le trovvez pas bon, je le veux ainsi. Mais chantons donc, s'il vous plaist, le Te Deum qu'elle entonna elle-méme avec yn force extraordinaire. Toute la communauté poursuivit l'Hymne avec elle, jusqu'au verset: In te Domine speravi, non confudar in oeternum, qu'elle repeta trois fois. La Priere finie, elle nous dit, que ce n'étoit pas raillerie, & que veritablement elle étoit guerie, & ne sentoit aucune incommodité. Pour vous faire voir que je dis vray, ajoûta-t-elle, donnez-moi à manger, car j'ay bon appetit. On luy fit prendre un boüillon, qu'elle prît fort agreablement, en nous disant, que ce n'étoit pas assez: mais puis qu'on ne juge pas à propos que j'en prenne davantage, je vouddrois bien me coucher, dit-elle, je vous prie, laissez moy prendre mon repos, car je suis harassée du travail de la nuit passée. Chacune se retira, à la reserve des Infirmieres, qui se mirent auprés du lit de la Malade, laquelle reposoit en apparence comme un petit enfant, le visage couvert d'un petit vermillon, qui faisoit croire qu'elle reprenoit son embonpoint. en l'espace d'une demi-heure, qu'on la regardoit fixement, on n'apperceut jamais qu'elle fist le moindre soûpir. comme on craignoit de l'éveiller, on ne luy parloit pas; mais l'Infirmiere ayant mis la mains sur la bouche de la Malade, trouva qu'elle ne respiroit plus. Voila comme cette belle ame prit son vol vers le Ciel: son visage resta comme d'une personne qui seroit en contemplation; quoy que pendant sa vie elle fût fort agreable à son abord, elle avoit quelque chose incomparablement plus attrayant étant morte. L'odeur de sa vertu s'est répanduë par tout ce nouveau Monde; Nous sommes fort importunées de plusieurs personnes qui demandent quelque chose qui luy ait servy.