Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

I-8. Arrivée à Québec

CHAPITRE VIII
Elle arrive à Quebec, & quelle étoit son affection pour le
Canada


Le 19. du mois d'Août 1648. elle arrive à Quebec, la navigation ayant été
de trois mois

Nous jugeâmes de la premiere entrevuë, dit la Reverande Mere Marie de saint Bonaventure de JESUS, dans la lettre circutlaire qu'elle écrivit d'elle apres sa mort, que c'étoit un precieux thresor pour cette Maison; son exterieur avoit un charme le plus attirant & le plus gagnant du monde: Il n'étoit pas possible dela voir & de ne la pas aimer: son naturel étoit des plus accomplis que l'on eût pû souhaiter; elle étoit prudente avec simplicité, clair-voyante sans curiosité; douce & debonnare sans flaterie; invicible dans sa patience, infatigable en sa charité, aimable à tout le monde, sans attache à qui que ce soit; humble sans aucun bassesse de coeur, courageurse sans qu'il y euût rien de fier en elle. Nous sçavions qu'elle n'épargoit aucunes peines dans les occasions de gagner un ame à nôtre Seigneur, soit par ses prieres, soit par ses mortifications; jusques à s'être abandonnée pour ce sujet à la divine Justice en qualité de victime, qui ne l'a pas épargnée, & qui luy a fait sentir la pesanteur de son bras, punissant terriblement en elle les pechez de ceux pour lesquels elle se sacrifioit: Nous sçavons que ses infirmitez corporelles étoient grandes & continuelles, & nous voyions qu'elle les supportoit saintement, & toujours d'un visage égal, répendant une joye pleine de pieté dans le coeur de ceux qui la voyoient.

Ce témoignage est d'autant plus considerable, que celle qui le rend, a vécu 20. ans avec elle; qu'elle a été 14. ans sa Superieure, qu'elle la receut à son arrivée à Quebec, & qu'elle luy ferma les yeux, lorsqu'elle mourut.

Passant en leur voyage à la ville de Vennes en Bretagne, elles n'y demeurerent que peu de jours; toutefois la Soeur Catherine y laissa dans les esprits une si vive impression des vertus qu'elle pratiquoit par tout, que la Reverande Mere de la Nativité qui étoit pour lors Superieure; plusieurs années apres en écrivoit en ces termes à une religieuse de son Ordre; je prens autant de part à ma chere Soeur de saint Augustin, que si je luy avois donné l'habit & fait faire profession; & beaucoup plus méme que si elle m'étoit parente, car depuis que la vis, il me demeura une si forte impression & estime de ses vertus, qu'elle m'est toûjours restée dedans le coeur & dans l'idée; non seulement à moy, mais aussi à toutes mes Soeurs de Vennes. Elle nous a souvent servy l'entretien, & je l'ay souvent donné pour exemple d'édification. Dans le peu de temps que nous eûmes le bonheur de la posseder, elle reforma tout nôtre Choeur par son chant. Mais sa modestie & son obeïssane étoient admirables. elle faisoit tout ce qu'on desiroit d'elle au moindre signe qu'on luy en doonoit. En sorte qu'elle y laissa une sainte odeur de sa vertu, & de toutes sa Communauté de Bayeux; car si dans une Novice, disoit-on, tant de vertus reluisent ensemble, que sera-ce quand elle sera plus avancée? & quelle estime doit-on faire de la maison d'où elle est?

Celle qui rend ce témoignagne est maintenant au Ciel: c'étoit une Religieuse d'un rare merite & de consideration, la premiere Professe de la reforme, qui fut envoyée de Dieppe pour la formation de Rennes, laquelle a si bien reussi, qu'il est sorty plusieurs Monasteres de ce premier de la Bretagne.

Nôtre Catherine trouva en Canada des coeurs de charité en toutes les Meres, qui la receurent avec des tendresses inexplicables; & leurs coeurs furent si-tôt unis, que toutes les lettres qu'elles écrivoient toutes les années en France, repandoient une douce odeur de la sainteté des unes et des autres.

Mais elle y trouva ce qu'elle y étoit allé chercher, des croix & des souffrances qui l'y ont accompagné jusques à la mort.

La méme qu'elle arriva en Canada, les Iroquois prirent & brulerent un grand Bourg des Hurons, nommé saint Joseph, où ils massacrerent quantité de Chrétiens, & en emmenerent quantité de captifs, d'hommes, de femmes & d'enfans: Le Pere Daniel Jesuite leur Pasteur y ayant été tué & brûlé au sortir de l'Autel, & un moment apres la sainte Messe; Quelques François & Sauvages avoient aussi été tuez ou emmenez captifs des trois Rivieres & de Montreal.

L'année suivante 1649. onze cent Iroquois prirent & brûlerent deux Bourgs des Hurons, appelez saint Ignace & saint Loüis, & firent par tout un horrible massacre, emmenerent un grand nombre de captifs, les Peres Jean de Brebeuf & Gabriel l'Alement Jesuistes y ayant été cruellement brûlez à petit feu avec des cruatez inimaginalbes.

En 1650, on reçeut nouvelle que la Mission de saint Jean dans la Nation du Petun aux Hurons, avoit été désolée par les Iroquois, & que le Pere Charles Garnier avoit été massacré au milieu de son troupeau; & le Pere Chabanel tué à 4. ou 5. lieues de luy. Cette méme année tout le païs des Hurons étant ruiné par de nouvelles irruptions des Iroquois, tous les Peres qui y avoient fait une Eglise Chrétienne de ce peuple barbare, furent obligez de descendre à Quebec, avec les tristes restes de cette Eglise auparavant si florissante. En méme temps d'autres Iroquois firent de nouveaux massacres aux trois Rivieres & à Mont-Real; jettant par tout la terreur & l'effroy.

En 1651. le Païs des Aticamegues reulez dans les terres du côté du Nort, fut ravagé par ces mémes ennemis de la Foy, qui firent une Eglise captive de ce qu'il y avoit de plus Chrétien entre toutes les Nations Algonquines.

En 1652. le Pere Jacques Buteux leur Pasteur, retournant dans ce païs tout desolé pour y ramasser les brebis dissipées de son troupeau, y trouva une heureuse mort en ayant repandu son sang pour ces ames rachetées du sang de JESUS-CHRIST: & les Iroquois cette année là ayans fait sentir par tout leur furreur, la Colonie Françoise des trois Rivieres se vit sur le point d'étre toute massacrée. Monsieur de Plessis Querbodo, Gentilhomme de courage leur Gouverneur & l'élite des habitans, y étans demeurez sur place & quelques-uns emmenez captifs, qui furent cruellement brûlez dans le païs ennemy.

En 1653. la desolation continuoit par tout, & alloit méme jusques aux portes de Quebec, où le Pere Joseph Poncet fut pris & emmené captif, avec un autre François qui fut buûlé vif.

Il faut qu'une fille ait un courage invincible, & une force toute extra-ordinaire, pour ne pas craindre dans ces dangers; & pour aimer le Canada, lors qu'il étoit en cét état si déplorable: Il faut que l'amour de JESUS-CHRSIT & du salut des ames possede pleinement un coeur, pour le porter à vouloir demeurer parmy ces Barbares, & tous les perils d'une cruelle mort.

La méme année que la Soeur Catherine y arriva, écrivant à Bayeux à la Reverende Mere de saint Augustin qu'elle aimoit fort, & qui l'aimoit mutuellement, elleluy parle en ces termes. Nous sommes enfin arrivées en la terre tant souhaitée: Nous n'y sommes pas venuës sans peine. Il a falu livrer de rudes combats pour quitter la France, souffrir de violentes tempêtes sur la Mer pour arriver dans ce petit Paradis de Quebec, où maintenant tout est chagé en contentement. je vous diray, ma chere Mere, qu'il est vray que j'ay quitté une Maison de sainteté, mais que j'en ay trouvé une autre au bout du monde qui ne luy cede en rien: C'est un méme esprit, &c.

Je continuë, dit-elle dans une autre lettre des années suivantes, à étre dans une pleine satisfaction, & à aimer de tout mon coeur ma chere vocation du Canada. J'apprehende plus que jamais de quitter ce bien aimé païs; l'on nous fait peur des Iroquois, & l'on dit que s'ils continuent de faire des progrés autant qu'ils en ont fait depuis trois ans, ils contraindront tout le monde de quitter le païs devant qu'il soit peu d'années. Nous mettons toute nôtre confiance en celuy qui peut tout.

Dans une autre lettre du 9. Novembre 1651, elle parle en ces terme. Nous ne nous pressons pas pour achever le reste denos bâtimens, à cause de l'incertitude où nous sommes, si nous demeurerons long-temps icy. Dieu veuille par sa grace que nous ne soyons pas dans la peine de le quitter. C'est la plus grande de mes apprenhensions: ce n'est pas que je ne croye, si je retournois en France, que je n'y fusse contente, & que Dieu me donnroit autant d'occasions de souffrir & d'étre une grande Sainte, si je cooperois aux graces qu'il m'y feroit: Mais quand je pense qu'iil ma appellée icy, je croy qu'il prétend de moy quelque chose de particulier en ce païs, voyant qu'il m'y donne tant de satisfactions & de contentemens; où effectivemetn il n'y en peut avoir qu'en Dieu. Car je vous puis asseurer que la nature n'y en trouve aucun en quelque chose que ce soit: Il n'y faut rien chercher que Dieu seul, & dans luy on trouve toutes les choses les plus douces & les plus agreables. je suis en luy plus contente que jamais. Je le benis à toutes les heures du jour, de la grace qu'il m'a faite. J'ay aussi toûjours de plus en plus de grandes obligations à nôtre tres-chere & Reverende Mere, & à toute cette sainte Compagnie, lesquelles ont des bontez & des charitez pour moi que je ne puis exprimer.

Ecrivant la méme année à Monsieur de Bernays Theologal de Bayeux et Superieur des Hospitalieres, pour lequel elle avoit une veneration toute particuliere, à cause de sa sainteté & qu'il l'avoit toûjours soûtenuë dans sa vocation pour le Canada, elle luy parle en ces termes: Je suis toûjours fort contente & satisfaite en ce païs, & ne puis que je je n'en remercie Deieu de tout mon possible. Les Iroquois continuent leur guerre; ils ont pris cette année deux femmes Françoises; la premiere àMont-Real, ils l'ont emmenée à leur païs, & l'ont fait cruellement mourri; l'autre fut prise à une lieuë & demie d'icy, & fut tuée proche de la riviere comme elle alloit à la péche de l'anguille. Je ne sçay pas ce que Dieu veut faire de ce païs: Mais je vous puis asseurer qu'il est bien ébranlé. Dieu est le maître, il fera tout ce qu'il luy plaira, que sa bonté soit à jamais benie. Nous ne sommes pas en grand danger dans nôtre Maison; tout le pis qu'ils nous sáuraient faire, serait de nous brûler dedans; car de nous emmener en leur païs, il leur seroit bien difficile. Nous sommes entre la vie & la mort: Il n'y a personne qui soit asseuré d'éetre garanty de la fureur de ces Barbares. Tout cela, je vous asseure, ne me fait aucune peur. Je sens mon coeur disposé à faire & souffrir tout ce qu'il plaira à mon bon maître de m'envoyer: Il connoît mes forces, & je croy qu'il ne permettra rien que pour le mieux. Les Croix du Canada qui sont assez frequentes, n'ont point diminué ny altéré en aucune façon ma paix interieure. Je ne m'étonne pas d'en voir de tous côtez qui m'environnent. Mais je vous asseure, mon cher Pere! que quand on a une fois mis sa confiance en celuy qui peut tout, l'on ne rencontre pas tant de difficultez; du moins l'on ne les sent pas tant, ou elles semblent plus douces. Quoy que c'en soit, je sens toûjours mon coeur tres-content & satisfait. Je veux absolument étre à Dieu, & n'avoir rien à coeur que son service. On vous demande pour l'an prochain un nouveau secours de Bayeux, quelques filles choisies. Je vous prie au Nom de Dieu, mon cher Pere, de bien éprouver leur vocation, & n'en envoyez point qui n'ayent un desir extréme d'y venir; car un desir mediocre n'est pas assez. Il n'est pas croyable combien l'épreuve que l'on m'a faite avant que venir, m'a servy & m'a fait plus aimer ma chere vocation de Canada.