Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

I-1. Enfance

CHAPITRE PREMIER
Ce qui luy est arrivé jusqu'à l'âge de huit ans
SA NAISSANCE

lle nâquit dans un Bourg de l'Évêché de Coûtance, nommé saint Sauveur le Vicomte, en basse Normandie, à sept lieuës de Cherbourg, le 3. May 1632. de fort honêtes parens; son pere se nommoit Jacques Simon, sieur de Longpré, natif de Cherbourg sa mère Françoise Jourdan, fille de Monsieur de Launé-Jourdan, Lieutenant Civil & Criminel dudit lieu de saint Sauveur.

Elle fut ondoyée incontinent apres sa naissance, & le même jour portée à l'Église, & nommée Catherine : la Paroisse se nomme saint Jean Baptiste; ce fut à cause de quelques convulsions qui la prirent qu'elle fut si-tôt baptisée.

Elle a été alaitée par sa propre mere, qui étoit extrémement bonne & paciente, dieu l'ayant voulu nourir d'un lait qui la formât à la vertu, qu'il luy vouloit faire pratiquer éminemment: car il n'y a eu qu'elle seule entre ses freres & soeurs, qui ait été ainsi nourie du lait de sa mere.

Étant sevrée, sa grande mere la prit chez elle; elle y fut élevée jusques à ce qu'elle entrât en Religion, & instruite en toute vertu. Monsieur de Launé-Jourdan son ayeul maternel, grand homme de bien, homme d'oraison & grand aumônier, dont la vertu a été estimée de tout le monde, voyant un jour cette petite innocente qui n'étoit âgée que de deux ans; eut un présentiment de sa furture sainteté. Voyez, dit-il à ses domestiques, cette petite fille sera un jour Religieuse, une grande servante de Dieu, d'un grand courage, de genereuse entreprise, & une Sainte. Ce que même il avoit asseuré lorsqu'elle étoit encore dans le ventre de sa mere, quarante jours apres qu'elle eut été conceuë; & ce qu'il asseura derechef en bonne compagnie, lorsqu'elle fut baptisée, ayant été son Parrain.

Dés l'âge de trois ans & demy elle est touchée de Dieu.

Dés l'âge de trois ans & demy, dit-elle en son Journal, j'avois un desir tres-grand de faire la volonté de Dieu & qu'il le fist en moy absolument. Il me souvient que le motif qui avoit plus de force sur moy m'étoit assez pour me reternir. En effet, quand on vouloit obtenir queleue chose de moy, ou m'empécher de faire quelque; Dieu veut cela, il le faut faire; ou bien, Dieu ne veut point cela; je me portois & deportois facilement de quoy que ce fût, quand on m'objectoit la volonté de Dieu : j'étois heureuse quand j'entendois parler des avantages qu'il y avoit à être soûmis à dieu, à vouloir & ne vouloir pas ce qu'il fouloit; & je ne manquois pas de m'informer souvent de ma bonne mere, commeil faloit faire la volonté de Dieu. Cela l'obligea un jour que le Père Malherbe Jesuite étoit à la maison, de m'appeller devant luy, / dire que j'étois importune à demander ce que c'étoit que la volonté de Dieu, & comment il la faloit faire; & se tourant vers moy, elle me dit que je fisse mes demandes au Pere, / qu'il m'enseigneroit mieux qu'elle. Je memanday donc tout ce qui me vint en l'esprit touchant cette matiere; & il me souvient qu'une des dernieres questions, fut de sçavoir qui est-ce qui fait bien la voltonéd e dieu? le pere à l'occasion d'un pauvre qu'on venoit d'apporter fort malade, tout remply d'ulceres &/ couvert de vermine, me dit; mon enfant, c'est ce pauvre-là qi fait bien la volonté de Dieu, prenant son mal de bon coeur comme il fait; car, ajûtoit-il, on fait plus asseurément la volonté de Dieu dans les afflictions, lees humiliations /& les souffrances, que lorsqu'on a tout à soûhait. je lui demanday pourquoy les marques de la volonté de Dieu étaient plus asseurées dans ceux qui souffroient que dans les autres. Sa réponse me donna un desir si vehement de souffrir pour mieux faire la volonté de Dieu, que je ne pensois plus qu'à souffrir bien du mal. Afin d'y meux reussir dans mon desein, je priois la sainte Vierge avec des instances qui ne sont pas croyables, qu'elle menvoyât bien des maladies, & cela tous les jours plusieurs fois; & mon petit coeur en étoit ordinairement si attendry, que mes yeux parloient plus que ma bouche.

On ne doit pas s'étonner qu'en un âge si jeune, elle euût des desirs si ardens de souffrir: quand Dieu previent une ame, il la rend capable de tout. Nous lisons dans les Histoires Saintes de l'Église de Tolede en Espagne, qu'un enfant de trois ans y souffrit le martyre, la flagellation, le couronnement, & le crucifiement comme JESUS-CHRIST, avec un courage Chrétien ; il avoit nom Christofle, & fut appellé à cause d'une si sainte mort en un si bas âge, saint Innocent de la Guarde.

Elle desire de souffrir pour les autres

Une seconde chose que je desiray fut de souffrir pour les autres; & ce fut par le moyen du même Père Malherbe que j'en eus la pensée, ayant exhorté ce pauvre dont j'ay parlé icy dessus, à offrir son mal pour le salut de sa mere, laquelle menoit une vie debordée. Je tiray le Pere, & luy dis que la mere de ce apuvre homme avoit trop peché, & qu'il ne faloit pas qu'il souffrît pour elle, qu'il enrueroit trop de mal: le Pere se prit à soûrire, & me dit: Ma petite fille nôtre Seigneur n'avoit point fait de mal, & neanmoins il a tant souffert. Vous demandez tant ce que c'est que faire la volonté de Dieu; c'est une chose qui plaît à Dieu que d'endurer, & bien prier pour son prochain. Cela s'imprima bien avant dans mon esprit & mon coeur; & je ne manquay pas d'aller devant l'Image de nôtre-Dame, pour luy protester que si j'endurois quelque chose, je voulois que ce fût pour les autres plûtôt que pour moy.

Il est à remarquer que ce pauvre avoit été amené chez sa grand'mere pour y être traité; car sa maison étoit comme un hôpital, où tous les malades étoient receus charitablement, & étoient traitez comme dans un Hôtel Dieu; & nôtre petite dés-lors étoit façonnée pour être un jour Hospitaliere par la Providence de Dieu, qui par ses admirables ressorts conduit tout à la fin qu'il projette.

Elle a une tendre devotion à la sainte Vierge.

J'avois une imagination, dit-elle dans son Journal, qu'une certaine Image de la sainte Vierge parloit à moy; à cause de cela je l'appellois ma sainte vierge; & jamais je ne faisois quoy que ce soit, sans luy demander permission; je luy demandois avis plus simplement, avec plus de franchise & de tendresse, que je n'aurois fait à ma mere; & il me sembloit qu'elle me traittoit avec des caresses & des amours de mere. Je me joüois avec le petit Jesus qu'elle portoit, comme si c'eût été mon frère; je luy portois toûjours de ce qu'on me donnoit à manger avant que d'y toucher, & il me sembloit que la sainte Vierge me disoit, portez-en un peu aux pauvres, pour l'amour de mon Fils & de moy; à quoy j'étois obeïssante. Quand je n'en trouvois point, j'allois luy demander qu'est-ce que je ferois de ce que j'avois gardé? & quelquefois elle m'ordonnoit de le manger, & quelquefois de le garder pour le premier pauvre qui viendroit. J'allois quelques dire à ma grande mere: Malan, la sainte Vierge m'a dit que vous donniez telle & telle chose à un tel qui en a besoin. Au commencement elle disoit qu'elle le feroit; mais comme elle voyoit que je disoit toûjours la méme chose, elle me tança fort. Je persistois toûjours dans ma creance, & cela me dura jusqu'à huit ans, qui fut le temps auquel je fis ma premiere Communion, apres laquelle les choses ne se passoient plus de méme. Ce n'est pas que ma confiance en la sainte Vierge fût moindre, mais elle ne me parloit plus de cette façon.

Ces bontez de la sainte Vierge pour de jeunes enfans ne sont pas extraodinaires, saint Bernardin dés son enfance, fut ainsi favorisé de cette Mere tout d'amour.

Elle fait sa premiere Communion

En 1636, Monsieur l'Archevêque de Tolose venant visiter une Abbaye qui luy appartenoit, il donna la Confirmation; & pour cét effet, je m'y disposay par une confession que je fis à un Pere de la Compagnie de Jesus, desirant étre confirmée; & ce fut la premiere confession que je fis avec un esprit de penitence. Auparavant j'allois avec mes oncles & mes Soeurs, & tous ensemble nous demandions la benediction. Chacun disoit tout-haut ce que l'on avoit fait, & l'on se faisoit ressouvenir l'un l'autre de ce que l'on avait fait ou dit, que n'était pas bien. Je ne fus pas toutefois confirmée pour lors, ayant été jugée trop jeune.

Par-là il semble que Dieu attendoit qu'elle fût en un état & plus saint & plus âgé, afin qu'il eût lieu de luy faire les graces qu'il luy a faites, lorsqu'elle receut ce Sacrement en la nouvelle France à Québec en 1660.

Elle souffre beaucoup de mal & saintement, dés l'âge de cinq ans; & elle en est guerie par une voye extraordinaire.

Il semble que les Demons prevoyoient dés lors les dommages & les pertes que leur feroit souffrir un jour cette jeune fille: car dés l'âge de cinq ans elle se sentit poussée par trois fois du haut d'une montée en bas; mais ellen'en fut point offencée: au contraire elle se sentit doucement portée comme par une main invisible.

Comme elle demandoit à nôtre-Dame des Soûffrances, enfin sa requête luy fut octroyée. Voicy ce qu'elle en dit elle-mesme.

J'avois cinq ans, & j'étois pour lors dans mes grandes ardeurs à souhaiter des maladies, afin de bien faire la volonté de Dieu; quand je commençay à souffrir de violentes douleurs de tête qui ne me donnoient aucune tréve. Cela continua un mois de suite; au bout duquel comme on me vint voir, on me trouva toute remplie de pus, comme d'une apostume. On vit que cela couloit par mes oreilles, ce qui donna esperance que bien-tôt je guerirois: mais tant s'en faut qu'il m'amandât, qu'au contraire mes douleurs augmenterent notablement, & l'humeur étoit si abondante, que queleue remede qu'on y apportât, on ne pouvoit voir à bout dela desseicher. je fus deux mois entiers depuis que l'apostume fut percée, & je souffrois des douleurs si cuisantes, qu'on s'étonnait comment j'y pouvois resister. J'avois neanmoins une telle joye dans mon coeur, dans la pensée que je faisois la volonté de Dieu; que quoy que la douleur me fist verser des larmes, & jetter force cris, dans mes plaintes ordinaires je ne disois autre chose, sinon que la volonté de Dieu fût faite en moy, que je faisois la volonté de Dieu, & que ce n'étoit pour moy que j'endurois. Enfin au troisiéme mois de ma maladie, les Medecins étant au bout de leurs industries conclurent qu'il n'y avoit point de remede, & que le pus ayant carié des os, ma tête se disloqueroit peu à peu: déja il y en avoit deux qui branloient, & étant soûlevez, commençoient à vouloir sortir de leur place. Il arriva sur cela un certin homme qui se disoit bon & habile Chirurgien, lequel promit de me guerir en peu de temps, & par un seul remede; mais il ajûta qu'à la verité ce remede étoit bien violent on luy demanda si je pourrois bien le porter, veu la grande faiblesse où j'étois & mon peu d'âge; il dit qu'il garantissoit que je n'en mourrois pas: on l'interrogea pour voir s'il n'étoit point de ces Operateurs qui courent les Villes; car on ne s'en fût pas servy, crainte qu'il n'y euût quelque magie; il donna pour réponse qu'il venoit de Paris & d'Italie, où il n'avoit fait autre chose que d'apprendre la Chirurgie sous d'habiles Maîtres, & persuada par de bonnes raisons qu'il était fort sçavant; on luy laissa donc faire son remede, lequel ne fut autre chose que de prendre de la cendre rouge, & avec un petit entonnoir m'en verser dans les deux oreilles, & souffler fort, afin que cette cendre s'épandît & entreât bien avant dans ma tête; cela me fit d'horribles douleurs, mais il eut l'effet que l'on en pretendoit. Je fus parfaitement guerie en peu de jours, & il ne me resta autre chose que de la foiblesse; & les deux os qui sembloient quitter leur place, demeurerent dans une élevation extraordinaire. Ce Chirurgien s'en alla dés lors que l'on eut appliqué son remede, &l'on ne sçait ce qu'il devint, j'en ay oüi souvent faire le recit avec étonnement; & quelque recherche qu'on en ait faite, l'on n'en a jamais pû rien découvrir.

Elle fait sa premiere Communion à huit ans

Elle a été instruite par les Peres de la Compagnie de Jesus pour la Confession & la Communion, & particulierement par le Pere François Malherbe; & fit sa premiere Communion en l'année 1640, jour & Fête de tous les Saints. Voicy ce qu'elle en dit elle-méme.

Lorsque je fis ma premiere Communion, j'eus une si forte conviction d'esprit, que Dieu me vouloit Sainte, & qu'asseurément je le serois; que je ne pouvois ôter cela de ma pensée, qoy que je fisse. Car d'un côté je voilois bien étre Sainte; mais d'ailleurs j'avois de la peine à me résoudre de faire ce qui me devoit sanctifier.

Si l'âge de huit ans paroît à quelques-uns un peu avancé pour la Communion, on sçaura que dans le Mexic la sainte Vierge y étant apparuë à une fille de sept ans, malade, l'avertit de demander la Communion; & que dans trois jours son pere & elle mourroient de peste: ce qui arriva.