CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
II-3. Dieu fortifie par la vue de l'enfer
CHAPITRE III Voicy comme Dieu fortifie son épouse par la veuë des horribles tourmens de l'enfer, afin de la rendre inébranlable dans de si fortes tentations. C'est le recit qu'elle en fait elle-méme. Entrant un jour dans nôtre chambre, je me trouvay tout d'un coup interdite, & mon corps étoit si pesant que j'avois méme assez de peine à marcher alors: Je me jettay sur mon lit avec assez de difficulté. Mon esprit & mon coeur suivoient la pesanteur de mon corps; & je me trouvay dans une étrange abattement. À dix heures, je vis proche de moy un fantôme horrible; ses yeux étincelans me faisoient grand peur, & le feu qui en sortoit, me servoit de lumiere pour le voir distinctement. Il me regarda, & me prenant par le bras, il me dît d'un ton terrible, « Viens, viens voir le lieu où tu seras à toute éternité. » Ma crainte redoubla, & je demeuray toute interdite. Il me fit dsecendre dans un lieu fort profond, & me montrant un étang épouventable, il me laissa sur le bord. Je consisderay attentivement ce lieu, & je voyois que le feu & le froid s'y trouvoient unis, pour rendre les tourmens plus cruels. La fumée qui en sortoit rendoit une puanteur si intolerable, qu'elle ne peut étre comparée à aucune infection quelque grande qu'on se la puisse imaginer. L'ardeur du feu y étoit si extréme, que le plomb fondu, ny l'huile, ny le souffre, ny la poix, ne sont que rosée à comparaison de son activité. Je vis là toutes sortes de bêtes veneneuses, qui servent d'un tourment inconcevable aux infortunez habitants de ce lieu. Mais ce qui est plus horrible, sont les cris, les hurlements, les larmes, le desespoir & la rage continuelle de ces miserables, desquels le nombre est si grand, & croît de telle sorte à chaque moment, que cela surpasse tout ce que l'on en peut concevoir. Je les voyois tomber comme une pluye impetueuse, & sans discontinuation. Là on ne se souvient de Dieu que pour le maudire, le blasphemer, & faire sans cesse des imprécations intolerables contre luy. On y a une haine implacable contre sa bonté; & on voudroit la communiquer à tous les hommes s'il étoit possible. La sainte Vierge & les Saints sont aussi les objets de leur aversion & de leur rage. C'est là que se voit une confusion qui ne se peut exrprimer ny concevoir. Tous les Livres, les Peintures, & tout ce que l'esprit humain peut former d'horrible & d'affreux, n'est rien en compaisons de cette prison. J'envisageay ces choses avec une frayeur si grande, que je ne sçay comme je n'en mourus pas sur l'heure; car je sentois que ma vie devoit mille fois finir, de la peine que je souffrois, & de l'horreur qui me replissoit. Cela m'obligea, quoy que ce fût sans reflexion de dire: « Helas mon Dieu! que vôtre Prophete a eu raison de dire que les morts ne vous loüeront point; ce sont veritablement ceux-cy qui sont du nombre des malheureux. » Comme je jettois de profonds soûpirs, mon Conducteur me regardant d'un oeil severe, me dît: « Allons, allons, ce n'est pas icy où du dois demeurer, c'est icy où sont roumetez les gens du commun qui meurent en peché mortel » : Il me fit descendre plus bas sur le bord d'un autre étang qui étoit encore plus terrible que le premier: Le nombre des personnes qui y étoient plongez, étoit à la verité moindre, mais aussi les tourmens y étoient beaucoup plus grands. Mon guide me dît que c'étoit là qu'étoient les gens du monde, à qui Dieu avoit fait des graces plus speciales; & comme ils en avoient abusé, ils étoient punis plus sevérement que les autres. Je ne tarday guere sur le bord de ce second abîme. On me fit descendre dans un troisiéme, encore bien plus profond que les deux precedens: Ce fut là que l'on me montra ma place: Ce lieu surpasse les deux autres en horreur, en tourmens, en haine contre Dieu, & en tout. Et tous les supplices y sont redoublez si épouventablement, que tout ce que j'avois veu auparavant, ne me paroissoit rien en comparaison de ce lieu. Et ce qui me surprenoit le plus, étoit la différence des supplices d'un chacun, en tous les trois lieux. La desunion étoit continuelle, on se desiroit l'aumentation de ses les uns aux autres. Dans ce troisiéme lieu, il n'y avoit que des personnes consacrées à Dieu; des Papes, des Cardinaux, des Evéques, des Prétres, des Religieux & Religieuses; & cependant il y en avoit un nombre si prodigieux, que cela est inconcevable. Je reconnus un Evéque, quelques Religieuses & une Abesse; je ne les reconnoissois pas par les marques qu'ils portaient au monde, comme de Crosses, de Mîtres, de Croix & autres choses; mais je voyois la marque du caractere d'un chacun, qui me les distinguoit parfaitement. De toute cette multitude, on m'en montra prsque un nombre infiny qui étoient damnez pour les mémes pechez dont j'avois eu des tentations continuelles. Mon guide me les faisant regarder, me dît: « Regarde, tu seras ainsi à toute éternité; car voilà le nombre épouvantable de tous tes pechez. » A méme temps qu'il me disoit cela, je vis en effet un tableau horrible de moy-méme; & je me trouvois toute accablée sous la pesanteur intolerable de tant de crimes que je voyois, comme si je les eusse commis; & cette veuë me portoit de moy-méme à me condamner à ces peines. Je ne pensay point que Dieu me traittât avec trop de rigueur; mais je jugeois que les crimes excedoient de beaucoup la peine & le châtiment: C'est pourquoy je demeurois contente de cét Arrêt, qu'on me disoit étre prononcé contre moy. Ce qui me faisoit neanmoins peine, étoit que je me voyois obligée de vomir à toute éternité des blasphémes execrables contre un Dieu qui avoit toûjours eu de la bonté pour moy, de haïr la sainte Vierge & les Saints; & reciproquement d'étre à jamais l'objet de leur haine. Cela me causoit une amertue étrange. De plus la discorde que je voyois parmy cette multitude de desesperez, me donnoit de l'horreur. Chaque peché est puny d'un supplice particulier, & rien n'est caché de tout ce qui a été dit, ou fait, ou pensé, en quoy la Majeste de Dieu a été offencée. Comme je considerois attentivement tous ces funestes objets, mon guide me demanda si j'avois perdu l'esprit: « Pourquoy repetes-tu si souvent, mon Dieu, vous étes mon Dieu ? Ne vois-tu pas bien qu'il n'y a plus de bien pour toy? Quoy, ce Dieu là te traite-til bien en Dieu? C'est en vain que tu l'invoques ? » Je ne me souvenois pas d'avoir dit une seule fois ces paroles; Mais je me souviens bien que lorsque ce malheureux guide me tenoit ce discours, il me tardoit qu'il n'eût achevé pour luy répondre; « Oüi, oüi, Dieu est mon Dieu, & jamais je ne l'ay mieux connu que je fais maintenant; et il me traittera en Dieu à toute éternité, quand il me reduira dans l'extremité de peines & de tourmens, où je voy tous ceux-cy: Et je voy bien qu'il n'y a qu'un Dieu qui puisse faire souffrir de si grands châtiments pour les pechez. Il est juste: Ainsi je reconnois qu'il est mon Dieu: & j'acquiesce à ces volontez. » Il est vray que je fis cette réponse comme par une impression étrangere; car pour lors je sentois un si grand panchant au peché, qu'il me sembloit que je ne ressentois autre chois; & que tout en moy étoit peché. D'amour pour Dieu; j'en voyois bien éloignée. Ce n'est pas que je ne conceusse assez, ce me semble, ce que c'étoit que le peché, & combien il déplaìt à Dieu; le malheur épouvantable d'une ame qui s'y engage, les supplices qu'un peché mortel merite; mais je regardois cela comme une chose qui ne me touchoit en rien, & à laquelle je n'avois aucune part. L'on m'avertit ensuite qu'il faloit s'en aller; & au lieu d'un guide, l'on m'en donna quatre. Celuy qu'on m'avoit donné marchoit devant; deux autres à côté pour m'aider à remonter; & ceux-cy avec le quatriéme qui avoit les yeux continuellement attachez sur moy, faisoient tous leurs efforts par un redoublement de tentation, pour tirer de moy quelque consentement au peché. À mon retour je me trouvay sur mon lit, comme je m'y étois mise. Je n'avois pas été si long-temps en mon voyage comme je pensois; deux heures sonnerent incontinent. Les autre autres qui m'avoient ramenée, demeurerent deux heures entieres à m'exhorter l'un apres l'aure, à bannir la crainte de mon esprit, & à me satisfaire le peu de temps qui me restoit à vivre. « Ne te suffira-il pas, me disoient-ils, d'étre malheureuse apres la mort? Que crains tu? aussi bien il n'y a rien à esperer pour toy, tu seras damnée. » Apres avoir longtemps demeuré sans leur répondre; je leur dis avec un mouvement de colere, Dieu fera de moy tout ce qu'il luy plaira apres la mort; si je n'ay plus guere à vivre, tant mieux pour moy; au moins ce peu de temps, je veux m'absternir de ce qui luy peut déplaire. Il y en eut deux qui me frapperent assez rudement à cette réponse, & ils disparurent tout en un moment. Il est à remarquer que c'est ainsi que Dieu a fait voirles peines d'enfer à plusieurs Saints qui vivoient encore en terre; comme à sainte Françoise Romaine, à sint Anuphe, à saint Josaphat, à sainte Christine le modele admirable des ames souffrantes; & sainte Therese qui vit le lieu qui luy étoit preparé, selon qu'elle le décrit dans sa Vie, qu'elle composa elle-méme par l'ordre de ses Superieurs & Directeurs; qui tous sont demeurez d'accord que cette grande Sainte n'avoit jamais peché mortellement, quoy qu'elle parle en telle sorte dans sa vie, qu'on jugeroit, selon ce qu'elle en dit, qu'elle eût été coupable de grands cimes. C'est ainsi que Dieu conduit les Saints, & qu'ils se jugent les plus grands pecheurs de la terer, quoy qu'ils soient remplis de sainteté. C'est ainsi que le grand saint François d'Assise sse disoit le plus grand pecheur qui jamais eût été au monde, & qu'il s'estimoit quasi reprouvé, méme fort peu d'années avant sa mort; en sorte qu'il en fut pés de deux ans tout accablé de chagrin & de frayeur. Les tentations qu'il enduroit étoient si vehementes, qu'elles le privoient de toute la douceur de l'esprit, & luy faisoient croire qu'il étoit tout à fait abandonné de Dieu. Ainsi il ne se faut pas étonner que nôtre Cahterine ait eu souvent de semblables sentiments de soy-méme, quoy qu'elle ait toûjours vécu avec une grande innocence. Ceux qui l'on bouvernée, & ausquels tout son coeur étoit parfaitement connu; ayans asseuré saintement devant Dieu que jamais en sa vie elle n'avoit commis de peché mortel; & que jamais elle n'étoit décheuë de la premiere grace qu'elle avoit receuë au Baptême. La Venerable Mere Alix le Clerc, la premiere des Filles de la Congregation de Nôtre-Dame, qui a vécu & qui est morte à Nancy en Lorraine, en reputation de sainteté, l'année 1622. a été un exemple illustre en ce siecle, d'où l'on peut voir comme Dieu permet que les meilleures ames soient tentées: ses tentations épouventables & inimaginables luy ayans duré les vingt années dernieres de sa vie, jusqu'au dernier soûpir: son Confesseur & Directeur le R.P. Poirson Fourier Curé de Matincour, homme tres-saint & tres-éclairé dans la conduite des ames, la traittant impitoyablement, en méme temps que tout l'enfer étoit bandé contr'elle & que tous les demons l'infestoient d'une obsession continuelle. Ce saint homme sçavoit tres-bien son innocence, puis qu'il la connoissoit par revelation de Deiu, & méme Nôtre-Dame l'avoit asseuré qu'elle étoit confirmée en grace; mais pour l'humilier encore davantage, dans les tentations les plus humiliantes qui soient au monde, il se comportoit avec elle comme s'il l'eût jugée criminelle, & abandonnée à tout ce qu'il y a de plus infame dans le peché. Dieu est admirable dans sa conduite sur ses Saints. |