Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

II-2. Tentée contre ses vocation, mission & chasteté

CHAPITRE II
Elle est tentée contre sa vocation religieuse, contre sa vocation en Canada
& contre la chasteté

Le diable sans doute prévoyoit dés le commencement, que si cette jeune fille, prevenuë déja de Dieu comme elle étoit, se faisoit Religieuse, elle se feroit Sainte: Ainsi pour détourner un si grand dessein, avant méme qu'elle eût prit l'habit de Religion; il la poussa & tenta fortement de quitter le Monastere, non pas pour mener une vie mondaine; car sa ruse eût été trop grossiere; mais pour pouvoir vivre d'une vie plus austere & plus retirée. Le pere Malherbe Jesuite dissipa bien-tôt par ses avis, ces embûches, que l'enfer luy tendoit pour arrêter l'essort que prenoit cette ame vers la sainteté.

Dés le moment qu'elle sortit du Monastere de Bayeux, elle fut puissamment attaquée contre sa vocation Religieuse; ce qui augmenta méme durant huit années sans aucune relâche, & sans que son imagination pût jamais étre convaincuë ny reprimée par les raisons fortes du bonheur de la vie religieuse que luy apportoit son Directeur; tant le démon avoit de pouvoir de la part de Dieu, pour la crucifier sur ce sujet. Mais comme elle se conduisoit uniquement par un esprit de foy, & par les Maximes de l'Evangile; elle se faisoit force à soy-méme, et elle contraignoit la nature d'obeïr à la grace, la captivant sous le joug & sous les volontez de JESUS-CHRIST.

Le 10. jour d'Octobre 1652. deux fortes & vehementes tentations surprirent cette bonne Religieuse tout d'un coup, sans qu'il en parût aucune occasion; d'un côté la tentation d'impureté, & d'autre part la tentation de retourner en France. Un coup de foudre ne l'auroit pas frappée si à l'improviste, que firent les démons par ces deux malignes suggestions.

Cette tentation de son retour en France étoit d'autant plus dangereuse, qu'elle pouvoit y succomber sans peché, et que la chose étoit licite. Elle ne manquoit pas de specieux pretextes qui paroissoient venir de Dieu, & étre tous des motifs de pieté: L'amour de ses parents l'y attiroit aussi puissamment; & beaucoup plus enore la tendre & la sainte amitié qu'elle avoit pour ses cheres Meres; & pour ses Soeurs qu'elle avoit quittées à Bayeux, mais d'où son coeur n'étoit pas encore sorty.

Pour ôter au démon toutes ces armes, & pour le vaincre tout d'un coup, voicy le voeu auquel elle s'obligea sur ce sujet; la tentation ayant déja duré deux ans, & se fortifiant toûjours de plus en plus.

JESUS-CHRIST mon Sauveur, qui par une disposition toute aimable de vôtre Providence divine, avez voulu me donner place en ce païs, quoy que j'en sois tres-indigne! Je Soeur Catherine de saint Augustin, desirant de tout mon coeur cooperer aux saintes intentions qu'a sur moy vôtre saint Amour, prosternée aux pieds de vôtre divine Majesté en la présence de vôtre sacrée Mere, ma sainte Reine & Maîtresse, de son glorieux Epoux, mon bon Ange, mes Saints Patrons & toute la Cour celeste; fais voeu de perpetuelle stabilité en ce païs; entendant le tout selon la volonté de ceux qui me conduisent: Je vous conjure, mon adorable Sauveur! qu'il vous plaise me receuoir pour vôtre perpetuelle servante & esclave en ces Contrées, & me rendre digne d'une vocation si excellente.
Catherine de saint Augustin, le 18. Octobre 1654.

Il sembloit que ce voeu devoit étre comme un bouclier impenetrable aux attaques du démon; ou du moins qu'elle ne devoit plus ressentir qu'un regret de l'avoir fait. Mais la malice du démon est plus ingenieuse: Il luy apprend que les voeux qui sont faits imprudemment, sont nuls; & qu'ainsi celuy-cy étant de cette sorte, il n'y avoit aucune difficulté pour ne le point garder; que ses maladies étoient trop grandes, pour demeurer sous un climat aussi difficile que celuy du Canada; que la nourriture n'étoit pas propre pour un corps mal affecté, comme le sien; & qu'il n'y avoit que le païs natal qui la pouvoit remettre. Ce que Monseigneur l'Evêque de Petrée dît un jour en pleine assemblée, confirma extrêmement son party; à sçavoir, qu'il annuloit les voeux qui s'étoient faits en particulier, & qu'il en dispensoit celles qui s'en étoient liées. Ce fut en 1660. que le démon se servit de cette batterie, jusqu'à s'offrir visiblement à elle de luy dicter une lettre pour s'en retourner chez les Religieuses de Bayeux: ajoûtant qu'il ne faloit pas demander positivement de retourner; mais qu'ayant declaré ses infirmités, elle insinuât; qu'elle ne mettroit point d'obstacle à ce que l'on voudroit faire d'elle.

Elle repoussa promptement & genereusement ce malheureux tentateur. Retire toy de moy Satan, luy dît-elle, tu veux donc me faire tomber dans le chemin du Paradis où Dieu me fait marcher; & tu veux m'empécher de prendre le Calice que Dieu mon pere me veut donner. J'obeïray à luy seul, & non à toy. J'ay tes conseils en execration.

Par là il est aisé de voir que la partie superieure étoit toûjours du pary de Dieu, quoy que la partie inférieure fût dans les revoltes continuelles par la permission de Dieu, qui toûjours étoit le Maître, & qui triomphoit toûjours en elle. Aussi avons nous veu cy-devant dans le 8. Chapitre du Livre I. les fortes et les saintes affections que son coeur conservoit pour le Canada. C'est dans le méme esprit qu'elle écrivoit à sa chere Superieure de Bayeux.

Ne vous mettez point en peine pour moy; je suis contente des conduites de Dieu sur moy. Je les adore & je les aime, ma chere tante! Ô que les creatures sont inconstantes, & qu'il fait bon ne s'attacher qu'à Dieu seul! Ce petit mot, ma tres-chere Mere & tante, est pour vous dire comme à ma chere & bonne Mere, que Dieu continuë ses bontez sur moy, me donnant un coeur soûmis à toutes ses conduites, quoy qu'un peu dures à la nature, & à ce que mon amour propre desiroit: Je trouve mon repos dans cét état; Dieu est ma force, mon appuy, mon esperance, & l'ame de mes desirs; pourveu qu'il soit content, je le suis, & ne veux vivre & souffrir que pour luy, dans l'accomplissement de sa tres-sainte volonté; quoy que ce soit au monde en la vie & en la mort, me sera aimable dans cette veuë. Je vous conjure, ma tres-chere Mere, de remercier Dieu des graces qu'il me fait, & de luy demander que j'y corresponde avec fidelité. Ne soyez point en peine de ma santé; elle est assez foible, mais elle ne m'empêche pas d'étre contente.

Et en une autre lettre de l'année 1653. Nous joüissons icy d'une paix & d'une union si grande, qu'il semble qu'elle ne se peut desirer davantage; & nous avons une joye tres-grande de nous voir exilées volontairement en ce cher païs, pour l'amour de l'Amour méme. Mon coeur possede une paix & une joye telle que je ne le sçaurois exprimer; & plus je vas en avant, plus je connois le bonheur qu'il y a d'étre en Canada. Je ne pourray jamais assez connoître les obligations que j'ay à Dieu, & aux personnes qui m'y ont obtenu une place, & aidé à obtenir cette grace, don asseurément je vous reconnois comme la premiere à qui j'en suis obligée.

Au moment méme qu'elle fut attaquée, comme nous avons dit, des tentations d'impureté; son esprit fut privé des devotions sensibles dans lesquelles elle s'étoit veu plongée par le passé. Le Ciel devint d'airain & de bronze pour elle: Son entendement s'obscurcit entierement; en sorte que ne distinguant pas le sentiment d'avec le consentement, elle se trouvoit coupable & criminelle, où elle étoit innocente & sans peché; les tentations cointinuoient sans relâche, allant toûjours croissant; & tout son esprit, tout son corps & toutes ses pensées, tous ses desirs & tous ses sens n'étoient remplis que de ces idées abominables, qui quoy qu'elles luy donnassent plus d'horreur, qu'elle n'en auroit eu de l'enfer méme, toutefois elle ne pouvoit se persuader qu'elle en eût une vraye horreur, à cause qu'elles ne cessoient pas; car ell auroit voulu, pour se voir innocente, les voir aneanties tout d'un coup, & que les démons se fussent precipitez dans le profond des enfers, & qu'ils ne fussent pas demeurez dans son coeur, où elle croyoit que le peché étoit dans son regne : Et ce qui en cela étoit de plus surprenant, est que jamais en sa vie elle n'avoit eu aucune sale pensée ny aucun mouvement d'impureté.

Son recours fut bientôt à la sainte Vierge, qui est la Mere de la pureté. Elle s'adressoit par elle à JESUS-CHRIST, & elle le conjuroit par les merites de son Sang de ne la point abandonner dans ses combats. Elle invoquoit les Anges, & sur tout son Ange-Gardien & tous les Saints du Paradis. Le jour méme que commença la tentation, elle s'en découvrit à son Directeur, comme si elle eût été la plus criminelle du monde : elle joignît l'austerité des jeûnes, des disciplines sanglantes, & de toutes les mortifications qu'elle pût: elle coucha sur la dure & toute habillée; & elle se mettoit des brasselets pleins de pointes de fer aux deux bras pendant les nuits toutes entieres, & c'etoit beaucoup quand elle prenoit deux ou trois heures de sommeils: Ce qu'elle a depuis ce temps-là pratiqué le reste de sa vie; donnant à l'Oraison ce temps qu'elle déroboit à soi repos, sans jamais reposer le jour, dans quelque abattement qu'elle fût. Mais si elle se défendoit avec une telle resistance, les démons aussi deleur part l'attaquoient avec d'autant plus de force, qu'ils voyoient qu'elle acqueroit autant de couronnes pour l'éternité. Souvent elle s'est plongée dans les neiges, pour se défaire de cét ennemy importun, qui la pressoit dans la derniere extremité: Souvent elle s'est déchirée de coups pur tirer raison d'un crime dont elle croyoit étre coupable; & souvent elle se trouvoit dans un battement de coeur, & une peine si grande, qu'elle ne pouvoit se supporter.

Nous verrons dans la suite de sa Vie que bien d'autres tentations ont suivy ces premieres, dans des excés inimaginables dont l'enfer seul étoit la cause; & que toûjours elle a été victorieuse apr la grace de JESUS-CHRIST.

Dieu luy avoit donné un grand présentiment qu'il vouloit la conduire par des voyes toutes couvertes d'épines. Voicy ce qui luy arriva, comme elle méme l'a écrit.Une nuit à une heure apres mînuit, on me fit voir un chemin fort long, assez étroit, & tout herissé d'épines de côté & d'autres, lesquelles étoient tres-longues, & qui brûloient sans se consommer. Au bout de ce chemin étoit un grand quarré tout entouré d'épines sembables: On me dît, il faut que tu passes par ce chemin: J'avois bien de la peine à m'y resoudre, mais sans attendre ma resolution, on m'y poussa. Quand je me vis dans ce chemin, je me consolois dans l'esperance que je pourrois trouver par où m'échapper, quan je serois parvenuë à ce Quarré. Mais la peine fut qu'y étant arrivée, je vis qu'il étoit impossible d'y faire bréche; je me trouvay bien en peine, & pour me consoler, on me dît que je n'y demeurerois qu'un certain nombre d'années. Alors je dis: « Heloas mon Dieu! les douleurs de la mort m'ont environnée, &c. Apres cela il me sembla que je me soûmis à tout ce que Dieu ordonneroit; & je me trouvay hors de peine, la chose étant disparuë. Il m'est demeuré dans l'idée que ce chemin / ce Quarré sont la figure de deux sortes de conduites que Dieu peut tenir sur une ame. Je m'y abandonnay de tout mon coeur.

Ce qui augmentoit son mal, c'est que l'enfer luy rendoit souvent impossible le secours qu'elle vouloit prendre pour se fortifier, l'empéchant méme de prendre de l'eau benîte. Etant fortement tentée, dit-elle, la nuit du 14. Mars au 15, je me trouvay dans l'impossibilité de prendre de l'eau benîte: j'eus pour lors recours à ma Soeur de saint Ignace, comme c'étoit le jour auquel elle étoit morte; & apres avoir dit: « Ma chere Soeur vous voyez ma peine, & que les démons m'empéchent d'obeïr »; je sentis que l¡on me jetta de l'eau benîte sur le front, sur les yeux, & à l'endroit du coeur. Mais je ne doutay point que ce ne fût cette chere defunte qui me procurât ce secours. Tout le reste de la nuit, quoy que je me sentisse accablée de coups, j'eus l'esprit tres-libre, & je n'avois aucune peine à songer à Dieu, & à m'offrir à luy.

D'autresfois se servant d'eau benîte, elle sentoit comme un feu qui la brûloit aux lieux où elle touchoit; les démons voulans luy en interdire l'usage: Mais nonobstant ce feu, elle n'en prenoit pas moins, & trouvoit en cela méme son avantage; comme luy étant une mortification qui luy venoit par l'ordre & la permission de Dieu.