CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN |
II-8. La Vierge lui donne le petit Jésus
CHAPITRE VIII Un soir après avoir passé la journée en d'horribles tentations, avec la plus grande partie de la nuit, outre une fiévre double quarte, accompagnée de beaucoup d'autres douleurs qu'elle souffroit pour lors; elle se laissa aller à un sommeil fort leger, où elle eut la vision qui suit. Ce qu'elle écrivit par l'ordre de son Directeur en 1656. Étant en une grande salle, dit-elle, j'apperçus une Image de la sainte Vierge tenant son Fils JÉSUS entre ses bras, lequel paroissoit comme à l'âge de deux ans. Ie me mis en peine pour trouver une place plus décente & mieux ornée pour mettre cette Image; À quoy ayant travaillé, je m'approchay pour la porter au lieu que j'avois disposé. En la voulant prendre, je vis que ce n'étoit plus une Image ou statuë, mais qu'elle étoit animée: & ayant incontinent remarqué que le petit JÉSUS étoit tout transy & saisi de froid, je m'adressay à sa sainte Mere avec beaucoup de confiance, & luy dit; « Sainte Vierte ma tres-honorée Maîtresse & Reine! si vous vouliez bien me donner vôtre tres-cher Fils, je le réchaufferois. Helas que j'ay grande pitié de le voir ainsi nud & tremblottant! » Elle me répondit d'une assez triste voix: « Personne ne luy donne de robe pour le vétir; » & en méme temps, comme je tendois les bras vers le petit JÉSUS, la sainte Vierge me le donna: De dire les joyes & les sentimens de tendresse & d'amour que mon coeur ressentit pour lors, c'est ce que je ne puis exprimer, non plus que le colloque que j'eus avec cét aimable petit Roy. Je pouvois dire pour lors avec la sainte Épouse: Mon bien-aimé est à moy, & moy je suis à luy. Apres l'avoir baisé, embrassé, caressé, voyant qu'il étoit réchauffé; je me trouvay bien en pein de ce que je n'avois pas de quoyo luy faire une robe. J'apprehendois que si je venois à le quitter, la sainte Vierge ne le reprît, & ne voulût plus me le redonner; ou méme que tous ceux ne s'en allasssent, lorsque je m'absenterois. Etant en cette peine & regardant à côté de moy, je vis une robe toute faite, laquelle étoit d'une toile blanche comme neige; je la pris avec joye, & en revétis le petit JÉSUS, lequel me témoigna aggréer beaucoup cette sorte de vétement. Je recommençay tout de nouveau à l'embrasser, à le serrer amoureusement sur mon coeur; & luy reciproquement me mettant la main sur mon col, il pancha sa benîte tête sur ma poitrine, & en cette posture s'endormit. Lorsque je le vis s'endormir, je pensay enmoy-méme comment je pourrois le coucher à son aise; & étant en la méme peine pour son lit, que j'avois été pour sa robe; je trouvay à propos un grand morceau d'un fort beau drap rouge que je doublay en plusieurs doubles & ayant étendu mon rochet par dessus, j'y posay le petit JESUS. Je resay l'espace d'une heure dans une posture fort contrainte; mais tout m'étois facile; je prenois un plaisir indicible à le voir dormir; & souvent je repetois ces paroles, Dilectus meus candidus & rubicundus. Je considerois dans ce tres-aimable enfant, la sainte Trinité; mais je fus fort en peine de ne ressentir en aucune façon la personne du saint Esprit, & méme je m'en plaignois à mon petit Roy; lequel me répondit qu'il me devoit suffire que le saint Esprit residoit dans mon coeur, & que pour étre moins sensible, il n'étoit pas moins present. J'acquiesçay à cette réponse, & regardant la saint Vierge, je luy voulus aussi disposer un lieu pour la faire reposer; car elle étoit toûjours restée debout, & sembloit prendre plaisir aux caresses & à l'entretien que j'avois eu avec son aimable enfant. Et comme elle vouloit que je luy donnasse ce precieux gage, je le lui rendis avec regret de le quitter; mais toutefois je restay consolée de la promesse qu'elle me fit de me le redonner encore: & là dessus je m'eveillay. La sainte Vierge luy donna une seconde fois le petit IESVS, non pas en songe, mais durant l'Office divin, lors qu'elle étoit au Choeur. voicy comme elle l'a écrit elle-méme, dans son Iournal du 28. Decembre 1662. Depuis les onze heures de la veille de Noël, jusqu'à la derniere des Fêtes, je n'ay eu aucun moment, sans étre dans un clame & une paix profonde en toutes façons. J'eus une peine assez considerable l'auant-veille, & la veille de Noël à l'Office divin, & à mes petites pratiques de devotion: il me semble neanmoins que je me surmontay, & que je n'oubliay rien de ce que je devois faire, ayant un certain desir de témoigner à Nôtre Seigneur par ce peu de fidelité, une petite disposition à la Fête de sa saint Nativité. Lorsque nous fûmes arrivées aux Leçons du second Nocturne, j'eus l'intelligence parfaite de toutes les paroles, & vis en esprit la joye du Ciel, pour la naissance du Sauveur. chaque Ordre faisoit ses remerciements aux adorables personnes de l'auguste Trinité. Au Pere d'avoir donné son Fils: au Fils de s'étre donné avec tant d'amour: au saint Esprit d'avoir operé cét Ouvrage d'amour: Puis s'adressant à la tres-sainte Humanité, ils luy rendoient mille actions de graces de s'étre ainsi donné; benissaoit la Mere d'avoir enfanté cét Homme-Dieu; & tous sembloient luy donner à l'envi des loüanges. Elle recevoit des honneurs & des adorations inconcevables en qualité de Mere de Dieu. Apres elle saint Joseph participoit le plus à la Fête, & le saint Ange Gabriel. Je priay cette sainte troupe de me donner une petite part de leur joye, & que pour un petit de temps je possedasse le divin envant nouveau-né. On me le promit, ce qui me donna plus d'hardiesse, & me fit demander que ce fût donc entre les bras de sa sainte Mere. On sembla s'accorder à mon desir. Je restay depuis ce temps-là dans un grand desir de voir ce divin enfant, & je ne cessois de l'inviter, & sa tres-sainte Mere, à venir promptement. Lorsque l'on entonna le Te Deum, je ressentis mes desirs se redoubler extraordinairement; & l'Oraison étant finie, je restay au Choeur attendant que la Messe commençât. Ce fut pour lors que mes souhaits furent accomplis, & la tres-sainte Vierge me parut visiblement, portant entre ses bras ce divin enfant nouveau né. Mon coeur étoit si penentré de consolation, que je n'estimois pas que le Ciel eût rien plus à desirer. Apres avoir profondement adoré ce divin Enfant, je m'écriay Quis mihi det te fratrem meum jugentem ubera Matris meoe, & c. La sainte Vierge me permit de luy baiser les bras & les mains; & voyant que je n'osois par respect m'approcher qu'avec crainte, elle le mit entre mes bras, & me recommanda de le baiser; & en me le donnant, elle m'invita de luy faire quelque demande. Je m'en excusay, la suppliant elle-méme de la faire pour moy. Elle m'obligea de le faire moy-méme; je ne me sentis portée qu'à luy dire, Fiat voluntas tua in me: Je le repetay plusieurs fois. Cela dura environ demy quart d'heure; apres jene vis plus rien, mais je restay beaucoup fortifiée à m'abandonner à ce que voudroit Dieu. Et pendant les trois Fêtes, j'ay été dans un calme entier. Je n'eus ny au commencement, ny à la fin aucune pensée que ce fût une illusion, au contraire: mais quelques jours apres j'eus crainte que ce n'en fût une. C'est ainsi que sainte Therese, apres avoir reçû des visites de JESUS-CHRIST & de la sainte Vierge, & des caresses qu'ils se plaisent souvent de faire à des Ames d'élite, doutoit elle méme quelques fois des graces qu'elle avoit receuës, & qu'elle craignoit d'étre trompée, & de tromper son Confesseur. Au reste de sembables faveurs ont été souvent faites à divers Saints, à saint Dominique, à saint François, à la bienheureuse Angele de Foligny, au bienheureux François Borgia, au bienheureux Stanislas de Kostka, au bienheureux Enfant de JESUS: JESUS-CHRIST ayant pour de certaines Ames des bontez qui surpassent les pensées du commun des hommes. Ludens in orbe terrarum, & delicioe meoe esse eum filiis hominum Une autre fois la sainte Vierge luy donna du lait de ses mamelles, ce fut trois ans apres au méme jour de Noël en 1665. Voicy ce qu'elle en a écrit Avant Matines, dit-elle, je vis en songe la sainte Vierge, comme étant nouvellement accouchée, qui avoit les mamelles si remplies de lait qu'elles luy faisoient mal. Il me semble qu'elle regardoit pour voir si quelqu'un ne la soulageroit point: Je pris la hardiesse de m'offrir à elle, & luy dis que je succerois si doucement son lait, qu'elle n'en sentiroit point du tout de douleur. Elle me fit approcher, & me donna permission de la tetter; ce que je fis avec une grande joye. Apres que j'eus tout cuccé le lait d'une de ses sacrées mamelles, jela priay aussi d'en donner à nos petits enfans; & dans mon rêve, il me sembla que je les éveillay toutes quaters qu'elles le reçussent avec bien du respect: Elle leur en tira elle-méme, & leur en jetta sur les lévres, & ce à plusieurs fois, & pendant ce temps, il me sembloit que les coeurs de ces innocentes Ames étoient tout embrazez d'amour, & prenoient une nouvelle candeur. La sainte Vierge les regardoit avec un oeil si tendre, que j'en étois toute ravie; & elles reciproquement témoignoient à cette Mere de bonté, tout plein d'amour & de desir d'étre à elle & à son Fils. Je n'ay trouvé rien de semblable à la douceur & suvavité que je sentois en suçant ce sacré lait, sinon lorsque je Communie; car ce me semble, c'est le méme goût; avec pourtant cette difference qu'à la Communion, & quelque temps apres je sens la presence réelle de Nôtre Seigneur; & là seulement j'y sentit le goût, & beaucoup de suavité et de paix. Cette paix m'a duré extraordinairement jusqu'au 5. Janvier, & pendant tout ce temps, h'ay ressenty souvent la presence de Notre-Dame, & presque toûjours celle du Pere de Brebeuf; trois fois celle de saint Jean l'Evangeliste. Ce nest pas que pendant ce temps mes tentations n'ayent continué aussi fortes & aussi frequentes que jamais & que je n'aye toûjours eu la méme compagnie de mes hôtes; mais leur operation me sembloit comme absorbée par une autre puissance plus forte; & je sentois les tentations, non plus comme s'adresser à moy, mais je les envisageois comme si elles eussent regardé une tierce personne, & sans peine. J'aurois bien demeuré en cét état toute ma vie. Le jours de saint Jean l'Evangeliste apres ma Communion, je me sentis intimément unie à ce Saint; & rendant avec affection mes actions de graces à Nôtre Seingeur JESUS-CHRIST, pour les faveurs qu'il luy avoit communiquées; je sentis la presence de la sainte Vierge, de saint Jean, & du Pere de Brebeuf. Il me sembla que la sainte Vierge les regardoit tous deux comme ses enfans tres-chers; & le Pere de Brebeuf me fit entendre qu'il avoit obligation singuliere à saint Jean, & me porta à l'en remercier; e que je fis avec affection. Apres je les priay tous deux, puis qu'ils étoient si chers à la sainte Vierge, & ses enfans par excellence, qu'ils me donnassent à elle; & qu'ils la suppliassent qu'elle m'acceptât pour sa fille: Ils le firent de si bonne grace, qu'elle ne dédaigna pas de me prendre pour telle; & me promit que jamais je ne perdrois cette aimable qualité. D'exprimer qu'elle fut ma joye, c'est ce qui ne se peut. Je fus bien un quart-d'heure ressentant la presence de la sainte Vierge, & d ses deux saint Enfans: & dans cette espace, je ressentis un avant-goût des douceurs du Paradis, & méme la pensée me les renouvelle. Durant l'Octave de saint Jean, je ressentis encore sa presence, avec de nouvelles asseurances de sa protection, & des secours de ses fideles serviteurs, qui me sembloient aussi presens. |