Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

I-9. Son amour pour les croix

CHAPITRE IX.
Son amour pour les croix

On verra dans la suite de cette Histoire, que toute sa vie n'a été qu'un
enchaînement de croix qui se succedoient les unes aux autres, & qui crois-
soient toûjours extraordinairement jusqu'à la mort, d'une façon inimaginable:
en sorte que l'on peut dire qu'elle a été toûjours crucifiée, & qu'elle est
morte en croix.



Sans parler maintenant des croix interieures & qui crucifient l'ame méme jusques à l'infiny, il suffira de dire qu'elle a toûjours été malade, & jamais sans douleurs, qui souvent étoient bien cuisantes, sans qu'elle s'en plaignît, ny qu'elle y recherchât d'ordinaire aucun soulagement, sinon celuy de la patience & de la conformité qu'elle devoit aux volontez de Dieu & à JESUS-CHRIST crucifié: auquel elle devoit s'estimer heureuse d'ètre semblable, pour dire avec l'Apôtre, Chrisot confixus sum cruci. Ce qui est d'autant plus considerable, qu'elle avoit un coeur tendre & compassif pour tout autre que pour elle-méme, & une charité officieuse & si prévenante qu'elle eùt pris volontiers sur soy, & qu'elle prenoit effectivement les miseres & les maux des autres, sans jamais se rassasier de peines.

Ma santé est toûjours languissante, dit-elle dans une de ses lettres; Une Esquimancie m'a pensé étrangler depuis un mois. Il m'en est resté une assez grande fluxion sur la poitrine. Ce sont des faveurs que nôtre Seigneur me fait; qu'il en soit beny à jamais. Je suis resoluë d'aller jusqu'au bout, & de soulager la Maison autant que je pourray. Tous les remedes que l'on m'a fait, ne m'ont presque point soulagée. En verité, ma chere Mere! j'ay bonne envie de profiter de toutes ces occasions. Je suis resoluë quand je devrois encore plus souffrir dans l'interieur ou à l'exterieur, de ne sortir jamais de dessus la croix où nôtre Seigneur m'a mise par son infinie bonté & misericorde, & d'y mourir avec plaisir, ainsi que j'y demeure avec joye et satisfaction; laquelle quoy qu'elle ne soit pas sensible, n'est pas moins bonne ny moins veritable.

Le Reverend Pere N. m'a dit qu'il vous avoit écrit mes dispositions interieures, c'est pourquoy je ne vous en diray rien. Il me connoît mieux que moy-méme. Je suis la plus heureuse du monde de l'avoir rencontré; j'ay une confiance totale en luy: c'est l'unique consolation que j'ay en ce païs. quand je luy ay dit toutes mes miseres, je demeure en repos, quoy qu'il puisse arriver. Au reste tout le monde croit que j'ay facilité en tout, & que la vertu ne me coûte rien; & on craint que tournant tout en habitude, au lieu de me servir, cela ne me soit desavantageux: Mais helas, on ne voit pas toute la pesanteur & la dureté de mon coeur, toutes les revoltes de mon esprit, les abîmes de tristesse où je suis souvent reduite, ma lâcheté & mes langueurs. Ce cher Pere vous dira tout ce que je suis. mais apres tout, je suis contente & tres-contente; & quoy que mon coeur ressente de peines et de craintes; je ne laisse pas neanmoins d'esperer que Dieu se contentera de mes foiblesses & agréera la volonté qu'il me donne de le servir. je luy veux étre fidelle sans reserve; je le supplie de combler vôtre ame de son tres-pur & divin amour. Je ne vous envoye point de consultation de mon mal, cela seroit inutile, le mal changeant d'un temps à un autre, & de plus je croy que Dieu veut que je me prive de cette satisfaction. je suis toute en luy, ma Reverence Mere, Vôtre, &c.

Notez qu'elle écrivoit cette lettre les années qu'elle étoit dans ses plus horribles souffrances, & la victime de la Justice de Dieu, comme nous verrons cy-apres. Au reste elle écrivoit à sa Superieure de Bayeux, & la grande amie de son coeur, la Fondatrice, à laquelle la suivante lettre est encore adressée du 18. Octobre 1659.

Dieu qui seul est & possede seul nos coeurs. Ma disposition interieure n'est point autre qu'à l'ordinaire, si ce n'est que tout croît plûtôt que de diminuer. Celuy qui me connoît mieux que my, vous en pourra mieux écrire que moy. Tout ce que je vous puis asseurer, c'este que le diable est méchant, & s'il bouleverse tout chez moy, Dieu a sans comparaison plus de bonté pour me souffrir & soûtenir : ses graces ne sont point sensibles, & elles m'en sont moins suspectes, & me sont plus avantageuses. Il me semble que je ne veux, ou ne veux vouloir autre chose, que l'accomplissement de sa sainte volonté en moy. J'y trouve ma paix & mon repos, & une joye qui ne peut-étre ravie de qui que ce soit au monde. Vous ne devez jamais avoir aucune peine pour ce que vous avez sçeu; peut-ètre que tout cessera bien-tôt. Quoi qu'il en soit, mon esprit est en paix; j'envisageray toûjours ces accidens comme des motifs puissans pour m'attacher fortement à celuy seul qui veut, & qui doit posseder mon coeur. Au reste, ma chere tante! ne doutez pas s'il vous plaît de ma stabilité en ce païs. Il faut étre fidelle à Dieu jusqu'à la fin. Je ne sçay pas comment on peut faire courir un bruit contraire, ne l'ayant jamais dit à personne. c'est une chose constante que je ne quitteray jamais à moins que tout le monde ne quitte; & que je suis plus que tout le monde ensemble, ma Reverende Mere, vôtre, &c.

L'année suivante 1660. elle luy écdrit en ces termes.

Vous ne desaggréerez pas que je réponde à toutes vos lettres par celle-cy: J'ay si peu de temps & de santé, que cela me fait peine & m'empéche d'écrire autant que je soûhaitterois. ma fiévre-quarte m'a tourmenté puissamment. Je pense que mon poulmon est bien attaqué. Depuis quelques temps il m'est arrivé une fluxion sur les gencives; on craint que cela ne dégenere en un cancer. On m'y fait force remedes: peut-étre que cela se pourra dissiper. Quoy qu'il en soit, j'en agreé toutes les suites; je suis contente & en paix. J'ay à faire un bon Maître, il m'aime & me supporte, nonobstant mes ingratitudes.

L'année 1660. elle luy écrit ainsi.

Je n'ay pû m'empêcher de rire, ma chere tante! de l'idée que nôtre Communauté de Bayeux a eu de me rappeler, plûtôt que de nous donner des Religieuses; je tïens trop au Canada, pour m'en pouvoir détacher. Croyez moy, ma chere tante, il n'y que la mort, ou un renversement general du païs qui puisse rompre ce lien. Dieu m'y a appellée. Il m'y a conduite, & m'y retient trop fortement pour m'en separer. Vous la sçavez, ma chere tante!

Quelques années auparavant cette digne Superieure des Hospitalieres de Bayeux, pour qui elle avoit toute l'amitié & tous les respects possibles, ayant sçeu ses infirmitez continuelles, & les maladies qu'elle avoit en Canada, avec divereses choses qui pouvoient luy donner de la peine, luy fit non seulement des offres pour son retour en France, luy en donnant des moyens tres-faciles & tres-honorables; mais aussi luy en fit de tres-instantes prieres, dans la veuë qu'elle serviroit beaucoup à leur Communauté de Bayeux: Mais cette genereuse le refusa absolument, mandant à cette chere amie qu'elle étoit attachée à la croix du Canada, par trois cloux dont elle ne se détacheroit jamais. Le premier, la volonté de Dieu; le second, le salut des ames; & le troisiéme, sa vocation en ce païs, & le voeu qu'elle avoit fait d'y mourir; & elle ajoûtoit que quand méme toutes les Religieuses voudroient revenir en France, pourveu qu'il luy fût permis, elle demeureroit seule en Canada pour y consommer sa vie au service des pauvres Sauvages, & des malades du païs.