Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

II-9. La Conception immaculée et l'Assomption de la Vierge

CHAPITRE IX
Elle voit la sainte Vierge en Conception immaculée, & une autre fois la gloire.

Le 8. decembre 1663. faisant mon Oraison devant le saint Sacrement, je me sentis conduire par le Pere de Brebeuf, dit-elle dans son Journal, dans une chambre de mediocre grandeur: Elle étoit investie par tout d'une grande splendeur; mais l'effet de cette lumiere avoit un particulier pouvoir d'inspirer la pureté; & il sembloit qu'on ne respiroit là qu'un esprit de pureté & de candeur. Le Pere de Brebeuf voyant que j'admirois plûtôt l'effet que produisoit cette lumiere, que l'éclat & la beauté qui en sortoit; il me dit que c'étoit un rayon du lieu où la Mere de Dieu avoit été conçuë; qu'à raison du desir que j'avois eu le jour precedent d'honorer sa Conception immaculée, elle vouloit me faire un present à ce jour de sa Fête; que je demandasse hardiment, & qu'elle m'accorderoit ce que je luy demanderois. Je m'en excusay & priay le Pere de ne rien demander; mais plûtôt de dire à las sainte Vierge que j'étois entierement indique qu'elle pensât à moy. A méme temps que le Pere m'eut promis de luy dire, je vis paroître au haut de cette chambre une petite fille; mais dans cét enfant je reconnu des graces & des privileges nom-pareils; en sorte que je conclus sans hesite, que cette petite enfant n'étoit autre que la Mere de Dieu, laquelle avoit été comblée dés sa Conception de toutes sortes de graces; & je ressentois une joye inexplicable de voir que cette admirable enfant avoit tant agreé à Dieu dés ce premier moment. Mon coeur éclatoit en loüanges envers la sainte Trinité, pour tant de faveurs qu'elle luy avoit communiquées. Comme mon esprit étoit entierement occupé à ces actions de grace, cette petite fille m'invita d'aller avec elle. Je n'osois m'en approcher; le Pere m'y poussoit; mais jene pouvois me resoudre d'y paroître devant une si grande pureté, étant remplie d'impureté, & y étant comme abîmée; nonobstant quoy il me disoit que j'approchasse; mais je ne pûs du tout m'y resoudre. Ce que voyant, elle méme vint à moy, & se tourna un peu vers le Pere. Elle sembloit luy demander ce qu'elle me donneroit en cette Fête: le Perel luy laissoit tout à sa volonté. Je priay le Pere que je ne changeasse point d'état, si en cela la sainte Vierge étoit de me faire une échange, de la tentation d'impureté à celle d'infidélité. Dés ce moment jeme trouvay affranchie de ma premier tentation & furieusement attaquée de la seconde. Dés que le Pere m'eut prononcé ce changement, je me trouvay seule, & ne sentis, & ne vis plus rien: Il me sembla que j'avois veu cette petite enfant des yeux du corps: mais pour le Pere, j'avois seulement ressenti sa presence; excepté le temps qu'il délibera avec la sainte Vierge de ce qu'elle me donneroit; car pour lors il me sembla le voir proche d'elle. Apres que tout fut passé, quoy que je restasse assez agitée de la tentation d'infidélité; neanmoins mon esprit se trouvoit content & en paix; & il ne m'eût pas été possible d'avoir de volonté contraire. Cette disposition pourtant ne fut pas de longue durée; car dés le méme jour apres la Communion, les démons firent une conference qui me renversa toutes ma soûmission. Il me sembloit qu'ils se demandoient les uns aux autres si j'étois obligée de croire que JESUS-CHRIST fût dans l'Hostie. Les uns disoient que oüi, & les autres que non. Puis s'adressant à moy, ils me disoient qu'en crois-tu? Or en méme temps ils operoient en moy une obstinée infidélité; & comme je ne rṕondois pas, ils recommencerent entr'eux à se faire des demandes sur les articles de la Foy: Sur tout ils disputoient de la personne de Nôtre Seigneur JESUS-CHRIST. Ensuite que l'on est obligé sous peine de peché de croire le Mystere de l'Incarnation,puis qu'on le commande. Au contraire, quelques-uns disoient que c'étoit peché de le croire, puisque c'est avoir de trop bas sentiments de la grandeur de Dieu, & trop indignes de Sa Majesté. Une autre chose qu'ils porposoient, fut qu'il n'y a pas grand peché à croire une chose qui n'est pas, veu qu'il commandé de la croire. Ils se firent quantité de questions semblables: amsi au plus fort de leur dispute, il survint un démon plus puissant en apparence que les autres, qui se disoit avoir été des premiers Cherubins, lequel fit taire les autres, & me dit que tous étoient des ignorans; parce que JESUS-CHRIST étoit le vray & unique Fils de Dieu, digne de l'adoration & du respect du Ciel & de la terre: qu'il étoit vrayement au saint Sacrement de l'Autel: Bref, il me prouva avec beaucoup de force ce que j'étois obligée de croire de toutes ces choses; & que sans cette créance il n'y avoit point de salut, ny de Paradis pour moy. Cependant son discours operoit en moy tout le contraire; c'est pourquoy, comme s'il eût leu tout ce qui se passoit en moy, il me regarda avec indignation, & me dit: « Ô malheureuse que tu es! de ne pas croire que JESUS-CHRIST Fils de Dieu s'est fait homme pour les hommes; que c'est luy méme qui se donne aux hommes en nourriture au Sacrement de l'Autel: Malheur, malheur à toy incredule! desormais tu recevras ta condamnation en communiant, au lieu de ton salut. » Ces paroles étoient comme de l'huile mise sur le feu, car cela augmentoit mon infidelité. Apres il changeoit de batterie, & disoit que c'étoit se tromper de se persudader qu'il y eût un Dieu tout-puissant & tout bon; s'il étoit tout puissant, tu en ressentirois d'autres effets; s'il étoit tout bon, il te traitteroit avec plus de douceur. C'est un Dieu cruel, il ne merite pas que tu ayes recours à luy: Apres il recommançoit, & vouloit que je fusse obligée de croire en luy; de sorte qu'il se contredisoit à tout moment. Mais son impulsion ne se contredisoit point du tout; & comme pour me dire adieu, ils me frapperent de quelques coups, & puis ils me dirent que tout n'avoit été eu pure imagination: Apres ils m'inspirerent une grande joye d'étre sans foy. Dans ces sortes d'états, tout ce qui me fait plus de peine, est le desaveu que quasi malgré moy on m'oblige de faire de totues ces choses: C'est mon grand supplice, & cela me donne des impressions de haine contre le Reverand Pere de Brebeuf.

Notez qu'en ces rencontres les démons font une si vive impression dans l'imagination de la personne qu'ils obsedent, qu'elle croit y consentir pleinement, quoy qu'elle n'y consente pas; & les mémes démons broüillent tellement toutes les idées de la méme personne, qu'il luy empéchent de refléchir sur les actes surnaturels qu'elle opere en son coeur; de foy, d'esperance, de charité, & autres actes semblables de vertu; dont ne luy restant aucune memoire, elle ne voit en soy que le mal, & n'y voit aucun bien; & elle se juge criminelle lorsqu'elle est innocente. Ce que Dieu permet saintement pour humilier les Ames qu'il éleve le plus à soy; & qu'il possede plus pleinement, lorsque'elles pensent étres plus éloignées de luy, & n'avoir ny amour ny sentiment pour luy.

Vne autre fois elle vit la gloire de l'Assomption de la sainte Vierge. Voicy comme elle le rapporte.

Le 15. Août 1665. jour de l'Assomption, environ une heure apres minuit, il me sembla sentir la presence du Pere de Brebeuf, lequel me dit que je regardasse, & que c'étoit l'heure du trimphe de la sainte Vierge; qu'elle étoit morte un Vendredy, immediatement apres avoir reçû la sainte Communion; & que sa mort avoit été par un excez d'amour: Que trois jours apres elle étoit resuscitée & montée au Ciel en corps & en ame; & que c'étoit à la méme heure. Alors il me sembla voir la sainte Verge qui s'élevoit en haut avec une grande majesté, accompangée d'un nombre innombrable d'Anges & de Bienheureux qui faisoient tout retentir l'air de leurs chants; ils se servoient de divers Versets & Antiennes que l'on dit en cette Fête, y ajoûtant plusieurs Alleluya. Je fus si transportée de joye, que sans considerer ce que je faisois, je me mélay avec toute cette bande celeste, & poussois du coeur & de la voix les mémes airs. Cela dura fort peu; mais depuis que j'eus perdu cette veuë; mon esprit resta tellement attaché à la sainte Vierge, & abimé dans ses grandeurs, que depuis une heure jusqu'à quatre, il me sembla que ce temps n'avoit duré qu'un moment.