Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

II-11. Les saints lui apportent la communion

CHAPITRE XI
Les Saints du Paradis luy apportent la Communion.

Plus les démons d'enfer s'efforcçoient d'empécher que cette ame innocente, quoy que toûjours tentée dans des extremitez inconcevables, ne reçût la Communion d'où elle tiroit son plus puissant secours, & des forces pour demeurer toûjours victorieuse; plus au contraire ceux qui avoient soin de sa direction l'obligeoient de communier souvent; Mais les Anges & les SS. du Paradis l'y engageoient encore davantage, Dieu permettant qu'eux mémes luy apportassent le Corps de JESUS-CHRIST, & qu'elle le reçût de leurs mains. Voicy ce qu'elle en écrit dans ses Memoires

Le 6. May 1664. Fête de saint Jean l'Evangeliste, & de son Martyre à la Porte-Latine, à trois heures du matin je sentis la presence de ce Saint, qui calma entierement mon coeur beaucoup agité depuis quelques jours. J'eus un colloque si doux avec luy l'espace d'une demie-heure, que mon ame en étoit comblée de douceur & de joye. Pendant ce colloque, ce grand Saint m'insinua de prier pour une certaine personne qui étoit en France, & de luy appliquer ma Communion de ce jour-là. Je luy dis que je devois pas communier ce jour-là: mais que si j'avois eu la permission de le faire, je luy aurois donné de bon coeur ma Communion, & qu'il en auroit disposé à sa volonté. Il m'asseura que je Communierois, & m'ajoûta qu'il vouloit queje le priasse d'appliquer cette Communion à la susdite personne, me faisant connoître, qu'il prenoit un soin particulier de son salut. Il vouloit particulierement que m'adressant à Dieu, je luy demandasse par les merites de la grande purete de saint Jean, qu'il luy plût effacer entierement toutes les taches & pechez d'impureté, que cét homme avoit commis. Lorsque j'assistois à la sainte Messe, je sentis derechef la presence de ce Saint, il me sembla que luy méme me communioit. Ce fut un peu apres l'élevation. La presnce de Nôtre Seigneur causa beaucoup de paix & de suavité à mon ame; car encore bien que les démons souvenet agissent en moy dans mes Communions, plus fortement qu'en d'autres temps; toutefois leur operation ne sert qu'à me faire mieux sentir la force & le pouvoir de celuy qui est dans mon coeur.

Le lendemain le Pere de Brebeuf me fit communier encore pour la méme personne, & m'ordonna de demander pour elle ma méme chose que j'avois fait le jour precedent: Depuis que je communie, j'ay ressenty toûjours un goût dans la sainte Hostie, autre que celuy du pain. Ce goût n'a aucun rapport ny à la douceur, ny àla saveur qui se trouve dans les mets les plus exquis, lesquels sont fades au prix de cette viande sacrée. Il me semble que le propre de ce goût contient éminemment tout ce qui est renfermé de savoureux dans les autres: Surtout il fortifie l'ame & y fait couler une certaine onction, du moins selon mon sentiment & l'experience que j'en ay, qui passe tout ce que l'on en peut concevoir.

Le 27. juin le Pere de Brebeuf m'ordonna de commencer une neuvaine en l'honneur de saint Pierre & de saint Paul, & de la commencer le lendemain de la Fête. Cette neuvaine devoitétre specialement pour remercier Dieu des graces faites à ces Saints; & sur-tout du pouvoir qu'il leur avoit donné sur les démons. J'avois particulierement en veuë saint Pierre, quoy que l'un & l'autre y fût compris. Le jour de la Fête dés le grand matin, je sentis la presence de ces deux grands Saints, lesquels me témoignerent avoir volonté de me faire du bien. Saint Paul me sembla tout ceder à saint Pierre ce jour-là; quoy que l'un & l'autre fussent toûjours unis. J'avois pour lors beaucoup de démons en moy, lesquels me faisoient bien de la peine. Toute cette troupe ne fut pas renvoyée; mais on leur défendit de m'inquieter. Au méme moment je me trouvay dans une profonde paix, & mes hôtes ne me faisoient plus aucune peine; mais eux en souffroient bien, d'étre ainsi contraints de rester; car ils étoient liez. Etant allée à quatre heure devant le saint Sacrement, il me sembla voir comme une image & une partie de la gloire de saint Pierre. Je vis une grande Fête au Ciel pour ce saint Apôtre. J'admirois comme un pauvre Pécheur avoit été élevé à une si éminente gloire; & tout le Ciel luy rendoit honneur. Tous les Anges Gardiens luy déferoient l'honneur du salut de ceux qu'ils avoient en garde. Il me sembloit que presque tout ce qui étoit au Ciel, reconnoissait luy devoir son bonheur. Comme j'étois dans l'admiration des grandeur de ce Saint, il me sembla qu'il me fit approcher, & me promit place au Ciel, m'asseurant que je doürois à toute éternité du bonheur que je voyois, dont on étoit comblé dans ce lieu où il faisoit sa demeure; & méme qu'il ne m'éloigneroit pas de luy.

Le lendemain j'eus presque la méme veuë pour saint Paul, lequel me promit que je ne serois jamais séparée de l'amour de Nôtre Seigneur JESUS-CHRIST. Ils m'ont promis d'étre mes Protecteurs particuliers le reste de ma vie. Ils m'ont fait concevoir une haute idée du bonheur des souffrances, & m'encouragerent beaucoup. Depuis je m'en suis senty toute fortifiée; & il me semble que la vie me seroit ennuyeuse, si elle n'étoit toûjours dans la Croix.

Toute l'Octave j'ay presque toûjours ressenty la presence de ces Saints Apôtres, & j'ay communié tous les jours. J'ay crû par deux fois que c'étoit par leur main; les autres de celles du Pere de Brebeuf, auquel ils commandererent de le faire. Ça été ce bon Pere qui m'a procuré cette faveur aupres de ces Saints Apôtres.

L'année 1666. s'étant offerte à Dieu pour une personne qui luy étoit recommandée, & qui étoit abîmée dans le peché, avec une dureté de coeur inimaginable, / une resistance continuelle aux graces de Dieu, qui ne luy manquoient point, il ne se peut dire que nôtre Catherine de saint Augustin souffrit à son occasion de peines & de tentations, la Providence de Dieu ayant voulu qu'elle épourvât elle-méme toutes les mémes tentations que l'autre souffroit, & la peine de tous ses pechez qui étoient quasi innombrables. Une de ces peines fut qu'elle ne sentoit plus de douceur en communiant, mais de l'amertume. Voicy comme elle en parle.

J'ay toûjours resté dans un accablement & une amertume de coeur étrange, depuis le jour de saint Jean l'Evangeliste 1666. Depuis ce jour-là j'ay eu bien de la peine à communier les jours de la Regle & de permission: il m'est arrivé deux fois de ne me pouvoir remuer du tout, au temps de la Communion: De sorte que ces deux fois je fus privée de communier; dont je fus extrémement mortifiée, car je le souhattois ardemment: Ce fut le jour des Saints Innocens, & le jour suivant. Depuis ce temps-là je ne sens plus cette douceur & suavité en communiant qui m'étoit ordinaire; mais au contraire une amertume, une froideur & un dégoût le plus grand du monde. Il me semble toutes les fois que je vas communier, que je vas faire comme Judas, & y recevoir ma condamnation; car j'ay l'ame comme toute plongée dans le peché, & comme dans la volonté du peché. Cependant je sens une pante à m'approcher souvent de cét auguste Sacrement, & il me tarde que l'heure & le moment n'approche. Depuis ce temps pourtant, je n'ay fait aucune Communion extraordinaire, & méme Dieu n'a pas voulu qu'on m'en ait permis en certains jours que je l'avois demandé à nôtre Mère.

Tout le long de l'Avent j'avois communié, quelque resistance que j'y eusse apportée. Il me semble que c'étoit le Pere de Brebeuf qui me communioit aux jours qui n'étoient pas d'obligation. Apres Noël j'ay crû aussi que c'étoit luy qui m'en privoit, & qu'il commandoit aux démons de m'empécher de marcher; & il me faisoit offrir cette privation, pour satisfaire à l'abus qu'a fait la susdite personne des Communions. Ce bon Pere est depuis ce temps à mon égard, comme un Juge severe à l'endroit d'un criminel; il n'a nulle pitié de moy, & méme il ne fait pas semblant de me voir. Je ressens assez souvent sa presence, mais sans aucune consolation sensible. Tout m'est à charge, & j'ay le coeur tellement appesanty, qu'il me faut faire une violence extéme pour me trouver dans la conversation. J'ay quelquefois l'esprit tout interdit; il m'est impossible dans cét état de pouvoir rendre compte de ce qui se passe en moy. Je me trouve depuis quatre mois assez souvent dans cette disposition.

Notez que cette méme grace a été accordée à beaucoup de Saints, saint Jean Chrysostome fut à sa mort communié de la main des Apôtres saint Pierre & saint Paul: Le bienheureux Stanislas Kostka de la Compagnie de JESUS, étant tombe malade avant que d'étre Religieux, & ne pouvant obtenir de son fere aîné ny de son Gouverneur qui étoient Lutheriens, qu'on luy apportât le saint Viatique, eut recours à sainte Barbe, pour laquelle il avoit en son enfance en grande devotion: Cette Saint le vint visiter en la compagnie de deux Anges, de la main desquels il merita d'étre communié.